Les Chroniques de l'Imaginaire

Gaborit, Mathieu

Nereide : Un incontournable mais qui est quand même une base intéressante : qu'est-ce qui vous a donné l'envie d'écrire ? Et, en continuation, y a-t-il des auteurs qui vous ont « inspiré » et quelles sont vos lectures ?

Mathieu Gaborit : J'avoue que je ne sais pas très bien ce qui peut « donner » l'envie d'écrire. Au début, je crois qu'on ressent cela comme une certitude. Les mots apaisent, les mots filtrent la réalité et la rendent moins difficiles. Je n'ai jamais été un écrivain au sens premier du terme. Les mots sont un refuge mais c'est l'histoire ou plutôt son enchantement qui me porte. Alors, envie d'écrire, oui, pour être dans un sanctuaire, pour faire un peu de magie et avoir une chance de la donner. Mes émotions de lecture me ramènent toujours aux mêmes auteurs : Borgess, Brussolo, Houssin, Gracq, Garcia Marquez. Ceux-là m'ont inspiré. Aujourd'hui, je ne lis plus que du polar. Tous les polars, bons ou mauvais. Tout ce qui me passe par la main. J'aime sa fiction et son reflet très prosaïque, très réel. C'est aussi une quête personnelle : découvrir des personnages qui existent au-delà de l'enchantement « fantasy », des personnages dont les caractères, souvent bruts, font de belles histoires.

N : Là, c'est peut être encore une fois un classique mais perso, ça m'intrigue vraiment : comment on crée un monde, un univers avec ses us, son histoire, sa géographie... ? Bref, quel est le point de départ d'un monde ? Est ce qu'il y a une méthode ou est ce que chaque monde a son propre rythme de création ?

MG : Créer un monde, c'est partir d'une idée. Une seule et même idée. Tout le reste doit en découler, tout le reste doit s'harmoniser avec un concept d'origine. Pour moi, il y a un point de départ, c'est le merveilleux. Quel sens lui donner dans ce nouveau monde. Bref, quelle est la magie du monde. Voilà, à mon sens, la meilleure question à se poser pour construire un univers solide. L'émotion « fantasy » ne tient qu'à cela. Fondamentalement, je m'attache en premier à la magie et juste après aux peuples. D'autant que j'aime transgresser le genre. Alors, bien souvent, je m'empare d'un peuple/race et je cherche à lui donner un sens au regard de la magie puis à le crédibiliser socialement parlant. J'aime la réalité fantastique, le moment où la magie imprègne le monde et en devient un composant au même titre que le reste.Ce n'est que de la théorie. Bien souvent, tout se mélange, tout se transforme, bien sûr. Mais, et c'est une certitude, un univers peut tenir en une page. Le reste est une affaire de travail et de détails. Personnellement, j"ai la chance d"avoir des réactions physiques en présence des émotions qui me guident pour écrire un bouquin. Lorsqu'une idée soudain devient ce « fossile » dont parle si bien Stephen King, je me mets à frissonner. Pas la chair de poule mais un frisson tiède, un peu étrange, qui a l'air de dire : voilà, c'est cette idée que tu cherchais. C'est elle, tu l'as trouvée.

N : En continuation : est ce qu'il va y avoir des suites, d'autres romans, dans le monde d'Agone ou celui des Féals... ou est ce que vous avez envie de créer de nouveau un univers, ou faire encore autre chose ? Je pense que je peux résumer cette question par un : vous travaillez sur quoi en ce moment ?

MG : Je ne pense pas revenir sur les Féals. C'est une trilogie qui ne me ressemble pas assez. Revenir sur Agone, j'aimerais beaucoup mais des problèmes de droit m'en empêchent. Alors, j'avance. L'année 2003 a été une année blanche. J'ai vécu essentiellement au Maroc pendant cette période et je me suis contenté de réécrire Abyme pour sa version poche chez J'ai Lu. Aujourd'hui, je travaille sur 2 bouquins pour 2 éditeurs différents. Uniquement de la fantasy. Et je prépare, à plus long terme, un très gros projet avec Fabrice Colin.

N : Vous avez adapté Agone en jeu de rôle, est ce que l'idée vient de vous ? Si oui, qu'est ce qui vous a motivé ? Si non, ça fait plaisir de voir son univers avoir une vie en dehors du livre ?

MG : J'ai bossé à MultiSim et un jour, la question d'un nouveau jeu de rôle s'est posée. Stéphane Marsan et moi avons décidé d'adapter les Crépusculaires. Son succès et nos envies donnaient un sens à ce projet. On a bossé ensemble plus d'un an pour mettre au point les bases du jeu de rôle. Puisque, lorsqu'une « bible » de l'univers a été conçue, on a fait appel à des auteurs différents pour critiquer et enrichir la « bible » afin de donner naissance au jeu de rôle tel qu'on le connaît.Il est clair que voir son univers s'étendre au-delà des pages d'un bouquin est un vrai plaisir. J'ai vécu de nombreuses dédicaces mais la seule que je retienne vraiment, c'est sans doute celle qui a lieu au Monde du Jeu lors de la parution d'Agone le jeu de rôle. Un échange incroyable a eu lieu avec les joueurs et les lecteurs. C'est tellement fort, cette émotion. Cette sensation que le lecteur puisse enfin devenir acteur d'un monde. C'est une chose qui m'obsède.

N : Vous n'avez pas participé à l'élaboration d'Abyme, pour quelles raisons ?

MG : J'ai conçu la « bible » pour Abyme avec Frédéric Weil mais je n'ai pas participé à son écriture.

N : Je suppose peut être mal mais comme il y a Agone, le jeu de rôle, je suppose une activité rôlistique chez vous. A quel jeu jouez vous ou avez vous joué ?

MG : J'ai joué avec le même groupe de joueurs de l'âge de 11 ans jusqu'à mes 25 ans. Essentiellement le système AD&D dans des univers que j'inventais. On était une petite dizaine. Avec l'un deux, Guillaume, on partageait presque tout. Et ce bougre, génial mais trop déçu par le réel, s'est suicidé. Rien ne vous prépare à ça. Depuis le jour où on l'a enterré, je n'ai pratiquement jamais rejoué, à de très rares exceptions près.

N : Certains vous ont-ils quelque peu inspirés (pour l'ambiance par exemple) ?

MG : J'ai toujours voulu concilier le rêve et la réalité. Le rêve, dans ce qu'il a de féminin, de poétique, de romantique. La réalité, plus brute, plus aventureuse, plus violente. Une distinction un peu simpliste, c'est vrai, mais c'est ainsi que je la vis au quotidien dans l'imaginaire, en tout cas. Et concrètement, c'est ce que j'ai voulu retrouver dans Agone.

N : Et surtout, avez vous joué à Agone ? Et si oui, quoi et qu'est ce que ça fait de jouer dans son propre univers ?

MG : Je n'ai jamais joué à Agone. D'autres se sont chargés de concevoir et tester la mécanique du jeu. Pour le reste, je me suis tenu à mes convictions et mes émotions sur ce que devait être ce jeu de rôle.

N : Je change maintenant totalement de sujet mais c'est une petite question qui me vient en plus. Vous avez travaillé avec Fabrice Colin, et j'ai donc des petites questions sur la collaboration. Qu'est ce que cela change d'écrire à deux, en fait comment cela se passe ? Est ce que vous avez envie de réitérer l'expérience ? Y'a t-il des auteurs avec qui vous aimeriez collaborer ?

MG : Écrire à deux, c'est une expérience inédite, un peu surnaturelle. Avec Fabrice, on a très vite cherché à concevoir le bouquin à 2 voix, c'est à dire à prendre chacun un personnage et à alterner les chapitres en fonction de ces deux personnages. Comme on fonctionne tous les deux sur des modes très différents, l'aventure a été une bonne tranche de rigolade et de boulot. On a aimé et on va bientôt recommencer.

N : Je me permets de conclure par un « merci » M. Gaborit, pour votre disponibilité et par un « j'ai hâte de dévorer vos prochains petits bijoux de littérature fantasy »(et je ne dois pas être la seule !)