Les Chroniques de l'Imaginaire

Proust Tanguy, Julie

Nereide : Première question :
A quel âge as tu commencé à écrire ? Et pour quelles raisons ?

Julie Proust Tanguy : Vers 5, 6 ans dès que j'ai su écrire en fait ; le premier poème officiel, La Pluie, date du CP selon mes parents.
Pourquoi ? C'est une question qui m'embarrasse un peu parce que, finalement, je n'ai pas changé, j'ai toujours fait ça. C'est comme respirer : j'écris parce que j'en ai besoin. En réfléchissant un peu, je pense qu'au départ, c'était pour pouvoir jongler avec les mots, m'approprier cette matière qui changeait du dessin pour lequel je n'étais et ne suis toujours pas très douée. Pour raconter des histoires surtout, et créer mes mélodies. J'ai toujours été plongée dans un univers de sons, de mots, et écrire, c'est comme l'étendre un peu, juste pour moi ; c'est trouver une façon de vivre qui m'est propre. Les premiers cahiers que j'ai conservés sont bourrés de contes, de petites pièces poétiques, de petites phrases sur le monde qui m'entoure. Toute petite, j'ai été immergée dans cet univers et rêvais d'y apposer mes grains de folie. Depuis, je continue, tout simplement.

N : Deuxième :
Qu'est ce qui t'a poussée à publier ? (rencontre, illumination...etc.) Cela fait quoi, à 16 ans (c'est pas bien vieux tout de même), d'être publiée et de se dire qu'une partie de son univers est partagée avec des inconnus ? (je sais, elle est tordue celle là comme question)

JPT : En fait, j'ai été publiée un peu avant Fantasmique, dans des fanzines. Cela vient d'une rencontre avec une super association, l'Oeil du Sphinx, composée de gens passionnés à qui j'ai osé montrer mes textes, qui ont bien voulu les lire, les critiquer, les publier... C'est ainsi que sont parues des nouvelles, des articles, des poèmes, des critiques dans divers fanzines.

A la fin de ma première, suite à des problèmes de santé, pour me remonter le moral, j'ai rassemblé des pièces et j'ai déclaré que je voulais les publier. L'ODS, qui avait fondé entre temps (!) une maison d'édition m'a demandé le manuscrit et l'a publié. Pour la petite histoire, s'il porte le numéro 2 de la collection des Manuscrits d'Edward Derby, c'est le premier à être sorti des presses.

Qu'est-ce que ça fait d'être publiée ? C'est l'accomplissement d'un rêve, celui de pouvoir ranger son livre à côté de ceux qu'on aime bien ; cela permet aussi de prendre de la distance par rapport au texte, de passer à autre chose. Cela apporte surtout une grande satisfaction de partager son univers, même si c'est toujours étrange de savoir qu'il se balade partout, et qu'il peut toucher des gens. Les critiques, enthousiastes ou dépréciatives, aident à grandir, à prendre du recul, à s'affiner. Après, il y a les côtés amusants : des analyses spontanées d'anciens profs de français, des cousines qui jouent les agents de presse, une maîtresse qui m'avoue faire apprendre mes poèmes à une classe de CM1. Je suis touchée de savoir que j'ai pu communiquer des bouts de moi aux gens, de savoir qu'une part de moi s'est offerte et a été diversement reçue. Ça donne envie de continuer. Donc je continue.

N : Troisième :
Quel est ton « processus de création » ? La forme du poème s'est-elle imposée toute seule (car beaucoup pourraient faire l'objet de nouvelles aussi) ? Tu écris aussi des nouvelles à forte dose poétique, qu'est ce qui fait que tu passes d'un genre à un autre ?

JPT : Grande question ! Chez moi, le texte naît souvent sous l'effet d'une grande poussée d'inspiration : cela peut-être une musique qui me hante sur laquelle je vais mettre des mots, une image ou un sentiment très fort que je vais chercher à retranscrire, une soudaine envie d'écrire et le poème naît. Pourquoi la poésie ? Parce que c'est la première chose qui me soit venue ! Finalement, c'est la seule façon que j'ai trouvé pour exprimer le bouillonnement de ce qui me traverse, le côté insaisissable de mon univers, son côté fragile : les images et les mots s'entrechoquent pour donner quelque chose de nouveau, de vibrant, d'intemporel, d'impalpable. Tout est permis, on peut faire cristalliser une image en faisant éclater deux mots contraires l'un contre l'autre, on peut se laisser aller à se déborder de mots, d'images, d'émotions. Il y a un côté intense, irréel que je n'arrive pas à retranscrire en prose, quand je m'y essaye. J'ai besoin de ce condensé de mots, j'aime l'idée d'une lumière fugitive mais qui éblouit et dont on garde une persistance en soi, d'une porte qui s'ouvre rapidement et laisse deviner tant, d'une intuition brusque qui s'ancre en nous, qui ne se révèle pas, dit sans dire, parle de l'âme à l'âme. En poésie, on se situe hors du temps, de l'espace... un peu comme dans la fantasy. C'est sans doute pour cela que même mes nouvelles sont très poétiques, et mes « romans » aussi : parce que j'écris par intuition, par inspiration, et que les choses qui me passionnent dans l'imaginaire et la vie en général touchent aussi à ce domaine. J'essaye de lier le tout pour parvenir à exprimer du mieux possible ma vision (mon rêve ?) du monde.

Pourquoi passer de la poésie à la nouvelle ? Je ne sais pas ; pour moi, ce n'est qu'une extension de mon univers, il trouve à s'exprimer selon le moment, selon le besoin. Je ne me dis pas « tiens, je vais écrire une nouvelle, un roman, etc. ». Je ne réfléchis pas beaucoup avant d'écrire : je devrais sans doute, je serais moins décousue et plus intéressante ;-) J'aime le côté spontané de l'écriture, et le cultive. Tant pis si après le rythme ne coule pas bien, la mélodie irrégulière, j'aurai suivi les mots jusqu'au bout. Enfin, tenté au moins.

N : Quatrième :
Travailles-tu sur quelque chose de particulier en ce moment ?

JPT : Je viens de finir un triptyque poético- féerique qui m'a occupée les trois dernières années, que je retravaille, et que je compte bien essayer de faire publier (maintenant que j'en ai pris le goût :o) ). Je compte bientôt faire un sort à plein de petits textes que je n'ai pu diffuser les deux dernières années, faute d'en avoir pris le temps (la prépa ne m'en offrait plus beaucoup) et à des essais qui sont en cours d'écriture.

N : Cinquième :
As-tu des « modèles » en matière de poésie ou de littérature ? D'ailleurs, que lis-tu de manière générale (beaucoup de choses je me doute mais tu dois avoir des genres favoris quand même) ?

JPT : Je ne sais pas si ce sont des modèles, mais il y a des auteurs que je relis énormément : Rimbaud (parce que c'est le premier poète que j'ai aimé), Duras (parce qu'elle m'entraîne toujours plus loin), Pessoa (parce que c'est un génie), Tolkien (parce que je n'ai pas fini de parcourir les Terres du Milieu), Dubois (pour la plume ronde, épanouie, truculente comme le personnage), Pratchett (parce qu'il me fait hurler de rire à chaque fois et me poser plein de questions en même temps). Et Proust, parce qu'il m'aurait été difficile d'y échapper :o)

Si je voulais ressembler à quelqu'un, ce serait une Duras, une Dickinson ou une Woolf : tant pis pour le destin tragique, mais quelles plumes ! Mais une Duras, une Dickinson, ou une Woolf qui, sous l'influence des écrits du révérend Kirke et des grandes épopées, tenteraient d'approcher leurs intuitions par l'imaginaire.

Pour répondre à ta deuxième question, je suis boulimique en matière de lecture, je lis presque tout ce qui me tombe sous la main. Avec une prédilection pour la poésie (de tous les horizons) et la fantasy (je viens de me refaire tout Pern, Hobb et me remet à Eddings), parce qu'elles représentent mes aspirations et me fournissent ma dose d'imaginaire et de pleine « pureté », et les auteurs du XIXe siècle en général, car j'ai longtemps considéré que c'était « le » siècle littéraire par excellence et que je n'en finis pas de le découvrir.

Et la littérature antique, du fait de mes études, avec un grand bonheur et l'impression de remonter aux sources de tout, de me perdre dans des langues et des textes si vieux qu'on n'arrive plus à y accéder, juste à les trahir, les deviner, les contempler, les retourner lors de version jusqu'à ne plus rien comprendre mais tenter d'en saisir l'essence, et s'emplir d'une autre musique. Si je vis dans ma langue et ne suis pas douée pour parler en langues étrangères, j'ai toujours une grande fascination pour ces textes (ça vaut pour la littérature allemande et anglaise, et la poésie surtout), ces lieux de passage où je m'égare, cherchant le sens dans les sons. C'est pour ça que je suis une piètre traductrice, mais j'aime ces voyages spontanés où j'imagine le sens du texte à partir d'une mélodie, où j'élabore une histoire à partir d'une rythmique, à travers la densité d'écriture d'un Virgile (mon poète latin préféré ; avec Catulle, pour la gouaille et l'ironie à peine cachée sous la musique doucement lyrique) ou l'élan d'un Eschyle (dont le Prométhée Enchaîné reste une grande référence, on a l'impression d'assister à la naissance de l'humanité, dans la fougue et l'horreur d'un Jupiter désavoué). Avec une prédilection pour l'épopée et la poésie (décidément).

N : Sixième :
Rôliste ? Si oui, quel jdr ?

JPT : Oui, parce que j'aime avoir l'occasion de rêver différemment, et de m'approprier un morceau de chair de songe. Après avoir testé de nombreux jeux, je me suis arrêtée à JRTM, et ce uniquement quand mon frère est maître du jeu. C'est le seul à savoir conter des histoires comme je les aime, à m'entraîner toujours plus loin dans le plaisir de l'invention et le côté « veillée autour d'une table » et à me faire piquer une crise de fou rire parce que ma transformation en aigle a échoué et que je ne ressemble plus à grand chose.

N : Septième :
Un petit mot pour ceux qui liront cette interview ?

JPT : Rien de bien original ! J'espère que ces éclats de voix vous donneront envie de plonger dans mon univers. Alors bienvenue, pour ceux qui seront attirés, dans mes terres de légendes, bercées de pleurs et de rires, où les ombres se font parfois chimères J'espère que ces valses d'ailleurs, ces hors-temps naïfs et spontanés sauront vous toucher et vous offrir le portrait d'une âme en incandescence. Ci-joint bibliographie complète :o)

N : Huitième :
J'en ai oublié une ! Dans Fantasmique et Faërie, le propos n'est pas toujours des plus gai, avouons-le, c'est plus facile d'écrire sur des choses noires ?

JPT : C'est vrai que l'ensemble est plus glauque que dansant :o) Pourtant, écrire des choses sombres, ce n'est pas plus facile, c'est même plus douloureux ! C'est vrai qu'avec le recul, j'ai sélectionné plus de poèmes sombres que joyeux, parce que j'avais l'impression que c'étaient les plus denses et les plus forts, que c'étaient dans ceux-là que j'avais réussi à atteindre de façon plus ardente l'image ou la mélodie qui sonnait alors, que le poème était plus incandescent pour citer Dickinson. Non pas que le poète soit toujours celui qui souffre, mais il faut reconnaître que c'est dans ces lieux de paroxysmes de soi (désolée pour le lyrisme), de dépassement, qu'on se transcende le mieux, qu'on brûle plus ; qu'on touche plus ? Mon parcours est un peu celui de l'alchimiste qui va toujours plus loin dans les flammes, mais sort grandi de chaque étape. D'ailleurs, si cela peut te rassurer, le tome que je retravaille en ce moment n'est pas noir ! Mélancolique, certes, mais pas noir !

A vrai dire, c'est aussi une question de « chemin de vie » et de tempérament le mien est plutôt rêveur et voué à l'introspection, alternant de grands moments d'enthousiasme avec des instants de silence. Si l'on me permet quelques instants de lyrisme, je suis un peu comme mon beau Finistère sud, à mi-chemin entre la plage de Teven et la pointe de la Torche. Je suis à la fois cette surface opale sous la lune capricieuse, cette mer apaisée comme un miroir où se perdent et se troublent les rires des étoiles, et ce gémissement fantastique de bleu et de vert déchiré de cris d'écume, la violence des vagues contre les rochers aux formes déchirées ou arrondies par le temps, le souvenir de corps disparaissant sous les flots, fantômes tumultueux d'enfance et de vies rêvées. Imaginez seulement cela, l'envoûtement de l'onde et de la pierre dans les yeux cinglés de rêve, et le vent qui emporte dans un dernier hurlement la plainte d'Ys l'engloutie. L'insurrection glorieuse du ciel dans les brumes de l'aube, la naissance éclatante du songe à la lisière du regard ; la mer échevelée de nuances d'azur et d'opale et le frisson de la sirène sous la courbe d'une vague...

Voilà...