Conan est devenu capitaine d'une libre-Compagnie (autrement dit, des mercenaires qui se vendent au plus offrant). De retour en ville après une mission périlleuse, il met la main sur une curieuse statuette. Bientôt, les problèmes sont au rendez-vous : tentatives de meurtres, kidnapping et complots politiques se multiplient autour de notre barbare préféré. Mais qui veut s'emparer de la statuette, et pourquoi ?
Grand fan du Conan de Howard devant l'éternel, je suis autrement plus réservé quand il s'agit de lire les suites des aventures du célèbre barbare, quand celles-ci ont été écrites par des écrivains tels que Sprague de Camp ou Lin Carter. Et encore ces deux derniers sont-ils les plus fidèles à l'oeuvre du maître, puisqu'ils se basent souvent sur les brouillons et les épreuves du maître. C'est donc avec une grande réserve que je décidai de lire un Conan de Robert Jordan (il en a écrit 6 au total). J'avais lu le cycle de la Roue du Temps du même auteur, et étais curieux de voir si le talent stylistique de ce dernier était parvenu à donner vie à une autre aventure de Conan sans trahir l'esprit poétique et sauvage qui fait toute la richesse des nouvelles d'origine.
Verdict ? Plutôt positif. Commençons par les réserves irréductibles qu'il est impossible de passer sous silence. Tout d'abord, Robert Jordan n'est pas Howard. L'aurait-il voulu, il n'aurait pu refaire ce qu'a fait le texan. Cela se traduit immédiatement par la forme même du récit : Conan le Triomphant est un roman et non un recueil de nouvelles. (Howard a aussi écrit des romans sur les aventures de Conan par exemple Conan le Conquérant mais ce ne sont pas à mon avis ses meilleurs productions, Howard n'excelle jamais tant que dans la forme brève). L'intrigue est plus construite, l'ambiance repose essentiellement sur le suspens narratif, les scènes d'action, les combats et les descriptions sont présentes, mais elles constituent plus des relais dans l'intrigue qu'un matériau d'écriture principal comme c'est le cas chez Howard. Malgré tous ses efforts, le Conan de Jordan est donc plus cérébral, plus réfléchi et plus calculateur.
Les dialogues sont nombreux, mais il est vrai que leur présence contribue à dynamiser la narration. Quand on se souvient des nouvelles de Howard - voir par exemple La chose dans la crypte (in Conan) ou encore Le repaire du vers des glaces et Le château de la terreur in Conan le Cimmérien - on ne peut que s'en étonner. Même dans des nouvelles comme La tour de l'éléphant (peut-être la meilleure nouvelle de Howard), les dialogues, avant de servir l'intrigue, servent l'atmosphère, aident à la construction d'une ambiance envoûtante et mystique. Chez Jordan, les dialogues ont une fonction autrement plus pragmatique : conduire l'intrigue vers son dénouement.
Il faut ajouter à cela une conclusion de l'histoire un peu trop brève, en comparaison du développement proprement dit. Le combat entre Taramenon et Conan, en particulier, est vraiment décevant, que ce soit par sa brièveté que par la pauvreté en suspens du passage.
Reconnaissons en contrepartie que Jordan a su donner vie à des personnages attachants, et notamment à deux personnages féminins qui n'ont rien à envier à Bêlit, la pirate de la côte noire : sulfureuses d'ambivalence et indomptables comme des tigresses, Silène et Kirela sont les parfaits seconds rôle de ce roman teinté d'érotisme sauvage, même si en définitive elles prennent quelque peu la vedette à Conan.
Le culte diabolique d'AlKirr, s'il n'est pas en soi particulièrement original - ce n'est qu'un culte de plus que des méchants tentent de remettre au goût du jour - parvient à séduire la curiosité (une curiosité lubrique, il faut bien l'avouer). La scène du sacrifice, particulièrement choquante, aurait pu se suffire à elle seule. C'est d'ailleurs elle qui porte l'essentiel du souffle et du suspens, et c'est à elle que revient en définitive Jordan après un détour qui par certain aspect est plus inutile qu'autre chose. Si l'on prend en compte qu'il s'agit des aventures de Conan et non d'un autre héros d'héroic-fantasy, l'intrigue en elle-même a en effet quelque chose de superfétatoire qui aurait pu (dû ?) être évité.
Le Conan de Jordan est donc un Conan plutôt réussi, même s'il n'égale pas les oeuvres originales. La meilleure « seconde main » des aventures du cimmérien que j'ai lue pour l'instant.