Les Chroniques de l'Imaginaire

Maia, Emmanuelle

Yakumo : Tout d'abord une question classique : peux-tu te présenter ?

Emmanuelle Maia : Je suis née en France, dans l'Ain, mais je réside en Suisse depuis l'âge de trois ans. En effet, insensibles à mes arguments contestataires, mes parents ont refusé que je m'installe toute seule dans un studio à cette époque. Je les soupçonne également d'avoir anticipé sur les troubles de mai 68 qui approchaient à grands pas et auxquels j'aurai bien pris part.

Papivore de nature, je m'avoue volontiers de type « poisson exotique », car si j'apprécie la compagnie des humains, je savoure ma solitude, la présence de mes félins ainsi que la vue qui m'est offerte sur mon aquarium par mon canapé.

Grande voyageuse de l'imaginaire, je consacre la majeure partie de mon temps libre à la lecture et à l'écriture. D'ailleurs, mes étagères ne tiennent plus que par la force de l'esprit, et je frémis en songeant que la saison des avalanches va bientôt débuter. Pourvu que ça ne donne pas de mauvaises idées à mes rayonnages

Y : Comment t'es venue cette idée de « voyager dans l'imaginaire » par l'écriture ?

EM : Dès mes premiers souvenirs d'enfance, les plus heureux se rapportent à l'expression écrite, de la découverte que ces caractères imprimés apparemment incompréhensibles possédaient un sens, en passant par les disques 33 tours (eh oui, je suis de cette génération-là) que mon père écoutait, dont les couvertures portaient des noms aussi évocateurs que Brel, Ferrat, Moustaki, Brassens ou Reggiani. Sans compter Prévert, Baudelaire, mais aussi Robert Sabatier, René Barjavel, Marcel Pagnol ou Hervé Bazin, je prenais un plaisir infini à m'évader au travers des mots et des mondes nés sous la plume de leurs auteurs.

A l'adolescence, l'envie m'est venue de remplir, à mon tour, quelques pages. Je me suis ainsi essayée aux poèmes. Et puis j'ai eu l'occasion de lire (ou plutôt de dévorer) mon premier livre classifié Fantastique. Une enseignante nous avait confié un travail sur Les plumes du corbeau et autres nouvelles cruelles, de Jean-Charles Jehanne. Quel était ce travail, quelle note ai-je obtenue ? Je ne m'en souviens plus et, de toute façon, cela importe peu. Toutefois, je me rappelle parfaitement l'impression ressentie à cette lecture ; une porte venait de s'ouvrir sur un univers encore inconnu mais terriblement fascinant.

J'étais donc mûre pour un pas supplémentaire : la nouvelle. Et, inévitablement, celle-ci était d'inspiration Fantastique. D'autres ont suivi, dont l'une a été primée, ce qui m'a encouragée à poursuivre sur cette voie. Des monceaux de pages plus tard, et un nombre incalculable d'oeuvres inachevées indignes de sortir en pleine lumière, j'ai écrit un roman intitulé La Croix du Néant, ouvrage qui a su séduire les éditions Nuit d'Avril, puisqu'il vient de paraître sous la bannière de cette jeune maison d'édition spécialisée en littérature fantastique et gothique.

Y : Justement, donnes-nous les grandes lignes de ce premier roman qui s'inscrit bien évidement dans le Fantastique.

EM : La Croix du Néant raconte l'histoire de Geoffrey McEnzie, un jeune garçon affligé d'un embonpoint largement supérieur à la moyenne. Souffre-douleur des autres, il rêve en secret du moment où il trouvera enfin le moyen de se venger sur les habitants de Lushtown, une petite ville située au coeur des Montagnes Rocheuses.

Aussi, lorsqu'il rencontre Roman Beltane, un personnage énigmatique qui lui offre sa revanche, Geoffrey n'hésite pas. Il aurait pourtant dû se méfier. Car son étrange ami a bien l'intention de se servir de lui pour accomplir une ancienne malédiction : ouvrir la Croix du Néant, cet objet hors d'âge qui renferme en son centre le moyen de détruire la planète.

Tandis que Roman et Geoffrey commencent à semer la pagaille dans la bourgade, leurs actes malveillants viennent hanter les nuits de Fiora Carini. Mais quel rapport entre les deux conspirateurs et cette jeune florentine ? Avec horreur, Fiora va se découvrir comme la dernière héritière dune famille qui lutte, depuis le XVème siècle, pour empêcher la prophétie de s'accomplir.

Y : Je trouve que ce roman a des points communs avec des livres de Stephen King voire, dans une moindre mesure, avec des romans d'Anne Rice. Apprécies-tu ces deux auteurs et en as-tu fait référence dans La Croix du Néant ?

EM : Je te remercie de comparer La Croix du Néant avec les ouvrages de tels écrivains, références incontournables d'un Fantastique qui aime entrelacer réalité et imaginaire. Il est vrai que le style fluide de Stephen King a sans doute, comme toute une génération d'auteurs, influencé ma plume. Quant aux amateurs, ils dénicheront sûrement le clin d'oeil que je lui ai destiné au coeur de mon récit.

Toutefois, cette malédiction familiale n'est qu'un des aspects qui soutiennent le thème central de mon roman : la différence. Geoffrey, condamné depuis toujours à l'exclusion à cause de son embonpoint excessif, Fiora, l'exilée volontaire, qui s'est réfugiée chez sa grand-mère pour guérir de ses blessures. Deux écorchés vifs, deux êtres différents qui puiseront peut-être, dans le combat qui se prépare, la force de continuer à lutter.

Y : Il est vrai que ton roman est un vivant appel à la tolérance. Geoffrey s'associe avec Roman parce qu'il a été rejeté. On a l'impression que les villageois récoltent ce qu'ils ont semé. Es-tu de cet avis ?

Je crois qu'appliquer la loi du Talion na jamais résolu aucun problème, aucun conflit, de manière durable. Pourtant, notre nature est ainsi faite que nous cherchons plus souvent à dominer qu'à concilier. En ce qui me concerne, je pense que nous avons tout à apprendre des différences qui font la richesse de notre humanité. Comme le disait Gandhi : « Notre capacité à atteindre l'unité dans la diversité constituera la beauté et le test de notre civilisation. »

Y : J'ai remarqué, sur ton site, que tu t'intéressais également à d'autres formes d'art qui te permettent tout autant de t'exprimer. Peux-tu nous en dire plus ?

EM : Effectivement, je suis toujours attirée par les nouvelles expériences artistiques, même si celles-ci enrichissent plus souvent mon âme que ma bourse.

C'est ainsi que j'ai mené à bien un projet dont je suis fière : la chanson Comme toi. L'enthousiasme et la collaboration de diverses bonnes volontés ont permis que ce CD single soit vendu, en 2002, au profit de la Fondation Clair Bois. J'en avais écrit les paroles après ma rencontre avec les jeunes adultes polyhandicapés du foyer de Clair Bois - Pinchat où j'expose régulièrement aux côtés de différents artistes suisses et étrangers.

Ces cinq dernières années m'ont aussi offert l'occasion d'expérimenter l'union des mots et de la matière, puisque plusieurs peintres se sont, à ma demande, inspirés de mes écrits pour réaliser ce que j'ai baptisé des « tableaux-poèmes ». Dernières nées de ce type de collaboration, des planches originales de BD réalisées par un jeune et talentueux dessinateur genevois.

De même, trois de mes textes ont été mis en musique par Guy Courtine, un compositeur valaisan qui compte déjà un CD à son actif. Vous pourrez découvrir ce second disque au début de l'année 2005.

Mais voici que mon chemin me ramène vers les activités liées au livre, ma passion de toujours. C'est ainsi que deux de mes nouvelles paraîtront en décembre 2004, dans les fanzines Éclats de Rêves et Le Calepin Jaune.

Y : Je vois que l'art occupe une place très importante dans ta vie. As-tu fait des études artistiques, exerces-tu une profession en rapport avec ce domaine ou es-tu une autodidacte pure ?

EM : Plutôt que d'art, je parlerai d'expression écrite. En effet, et même si je fréquente peintres, sculpteurs ou musiciens, je ne suis guère capable de tirer, de mes petites cellules grises, autre chose que des mots.

Réfractaire aux méthodes pédagogiques traditionnelles, je ne suis pas allée beaucoup plus loin que la scolarité obligatoire. J'occupe, à l'heure actuelle, un poste de secrétaire dans un domaine technique : le bâtiment. Mais mon esprit, constamment en éveil, se plaît à approfondir les sujets qui l'interpellent, l'intéressent ou le stimulent. Et il y en a beaucoup !

Sans compter les recherches liées à l'écriture, puisque mes récits introduisent une part de Fantastique ancrée dans le réel. La Croix du Néant, par exemple, m'a amenée à m'intéresser au contexte historique de la vieille Europe, à l'Inquisition ou à Girolamo Savonarola, pour ne citer qu'eux. Et si les chapitres qui se déroulent aux États-Unis sont purement imaginaires (je n'ai encore jamais mis les pieds Outre-Atlantique), je me suis attachée à décrire ce que j'ai perçu de Florence, une ville avec laquelle je me sens beaucoup d'affinités.

Y : Je sais que la plupart des écrivains n'aiment pas cette question, mais as-tu un autre projet en cours ? Si oui, ton prochain roman s'inscrit-il lui aussi dans le Fantastique ?

EM : J''ai effectivement entamé l'écriture d'un nouveau roman dont je préfère, au stade où j'en suis, ne pas dévoiler l'intrigue. Mais je peux tout de même rassurer les amateurs sur un point : Cet ouvrage - qui devrait voir le jour l'année prochaine - s'inscrit bel et bien dans la lignée du fantastique.

Y : Aurons-nous la chance de te voir à des salons ou à des séances de dédicaces ces prochains mois ?

EM : Je l'espère bien. D'ailleurs, jai déjà noté sur mes plaquettes les dates suivantes :- du 29 au 30 janvier 2005 au 12ème festival FantasticArts, à Gérardmer (88)- le 5 février 2005 au Salon de l'Imaginaire, à Nogent-sur-Oise (60)- du 26 au 27 février 2005 au Salon du Livre, à La Couture (62)- du 18 au 23 mars 2005 au Salon du Livre, à Paris (75)

Les informations sur mon site http://misandre.free.fr sont régulièrement mises à jour. Les amateurs pourront y découvrir la liste de ceux d'entre nous qui répondront présents aux différents salons. J'avoue que je suis, pour ma part, vraiment ravie de partager ces moments avec les autres écrivains de Nuit d'Avril, auteurs qui présentent tous, à mon avis, un fort potentiel de talent.

En ce qui me concerne, je vais m'employer à être disponible pour ces quatre dates. En effet, rencontrer le public est toujours un moment intense pour moi, habituée que je suis à oeuvrer dans le calme et la solitude. N'oublions pas que le temps nécessaire à la construction d'un livre n'a plus grand rapport avec celui que l'on consacre à sa lecture. Je trouve donc toujours très intéressant d'avoir un retour sur mon travail à l'occasion de ce type de manifestations.

Y : Je pense que l'on commence à avoir une idée précise sur ton oeuvre. Avant de clore l'interview, as-tu un dernier mot à dire aux lecteurs des « chroniques de l'imaginaire » ?

EM : Je voudrais les remercier du fond du coeur. Sans vous, lecteurs, nous, les auteurs, n'existerions pas. J'écris pour me faire plaisir, bien sûr, mais aussi pour vous faire plaisir, vous qui venez de partager avec moi cet instant au-delà du temps et des distances qui nous séparent.

Les livres nous transportent, nous incitent au voyage, au rêve, à l'évasion, ils sont source de joie ou de consolation, et ils savent parfois atténuer les cahots de nos vies. Nous ne sommes jamais seuls avec un livre dans les mains.

Que votre route soit douce et que cette année 2005 vous apporte beaucoup d'occasions de découvrir de bons ouvrages. D'ailleurs, n'hésitez pas à parcourir le site des Chroniques de l'Imaginaire, vous en trouverez plein à dévorer sans modération.