Les Chroniques de l'Imaginaire

Emblèmes (Emblèmes - 14)

Pour ce nouvel Emblèmes consacrés aux Portes, les éditions de lOxymore nous offrent une fois de plus un joyau à découvrir, mais il faut d'abord en franchir le seuil !

Plusieurs auteurs ont osé ouvrir la porte de leur Imaginaire, afin de nous proposer dix nouvelles aussi étranges et mystérieuses que la magnifique couverture de cet Emblèmes le laisse supposer. Le premier texte, Finir en Lumière, de Jay Caselberg, nous entraîne dans les traces de Peter, designer perdu dans un petit patelin, abandonné à son isolement et hanté par le cauchemar d'un tunnel. Pour briser sa solitude, il va souvent prendre un verre dans le bistro du village et a fini par connaître, ne serait-ce que de vue, tous les visages. Jusqu'au jour où sa route croise celle d'un vieil homme dont les divagations évoquent de curieux souvenirs en lui. Il le suit, sans savoir pourquoi, et écoute ses discours incohérents sur les raisons pour lesquelles sa femme l'a quitté, et sur ce rêve qui le hante. Leur promenade va l'amener sur le chemin de fer abandonné, et vers un passage. Passage vers qui ? Vers quoi ? Et surtout, passage vers quel autre monde ?

Le texte suivant, Brève de Comptoir, de Tristan Lhomme, nous emmène à nouveau dans un bistro, mais cette fois-ci de l'autre côté du comptoir, où le barman demeure comme toujours le confident des âmes égarés. Mais cet homme dont nul ne sait s'il est ivre ou fou raconte une bien étrange histoire, dans les tunnels du métro. Un métro familier, où pourtant l'on peut se perdre, rencontrer des gens étranges, et même y rester prisonnier, si l'on ne connaît pas de formule magique ! Avis à tous ceux que le métro rend méfiants, vous n'en sortirez pas indemnes !

Les Portes de l'Opium, de Marcel Schwob, nous entraîne dans l'espace clos d'une fumerie d'opium, retranchée derrière une étrange porte en ogive toujours fermée. Le narrateur est fasciné par cette porte close, et cherchera longtemps à en franchir le seuil jusqu'au jour où, à la suite d'un vieil homme en haillons, il finira par entrer. Que lui arrivera-t-il ? Et qui sont les gens derrière la porte ? La réponse sera peut-être dans les volutes veloutés d'une pipe.

Le quatrième texte est de Charles de Lint, et s'intitule Foyers du Cœur. Contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, il ne s'agit point là d'une histoire d'amour, mais plutôt d'une histoire de démence, ou d'amnésie, racontée par un étrange individu qui prétend être un vieux corbeau. Lui et ses anciens compagnons, Alberta le daim, Bear le grizzli, et Jolene la fillette. Ils échouent au cours de leurs errances dans la pièce emmurée dune cité enfouie, ne se souviennent plus ni de leur identité ni de l'endroit où ils sont. Ils décident de se raconter mutuellement des histoires pour se rassurer et tenter de se souvenir de comment ils sont arrivés là. Et ces histoires ces histoires, mon dieu. Sont aussi étranges et mystérieuses que ces personnages chamanes fous et animaux dénaturés !

Cinquième Étage, Porte Gauche. Tel est le titre, on ne peut plus clair et précis de ce texte d'Olivier Gechter. Et pourtant, malgré cette adresse fixe, sa porte ne fonctionne plus. Le narrateur s'aperçoit un beau matin en ouvrant sa porte pour sortir de son appartement qu'il s'est retrouvé chez la voisine. La fois suivante, il se retrouve carrément dans un autre immeuble, dans les toilettes d'un autre appartement, qui plus est. Et les choses ne font qu'empirer. Les déboires succèdent aux mésaventures, les tentatives les plus diverses échouent à rendre à l'ouverture son rôle habituel, et notre malheureux narrateur ne sait plus s'il devient fou ou si c'est l'univers autour de lui qui sombre dans la démence. Une nouvelle originale et rafraîchissante, à la fois drôle et douce-amère sur la solitude de chacun et la folie de notre monde !

Le texte suivant, de Pierre Bordage, Aux Portes des Saintes, nous entraîne à la suite d'un voyageur temporel qui utilise des portes immatérielles pour pourchasser certains gibiers. Muni d'un équipement technologique à toute épreuve, notre aventurier traque un criminel et croise bien des personnages au cours des siècles qu'il traverse. Qui est le narrateur ? Qui est son gibier ? Qu'a-t-il donc fait pour mériter une poursuite aussi acharnée ? Vous le saurez bien à la fin, mais l'originalité de ce texte repose surtout dans l'identité et l'utilisation mystérieuse de ces portes temporelles, au travers desquelles le voyageur peut aussi bien se retrouver dans une église qu'au fond des mers !

Le texte Pour qui grincent les Gonds, de Jérôme Noirez, nous conte la rencontre magique et improbable entre Muçaille, fillette introvertie et solitaire et Paucel le musicien. Deux exclus qui se retrouvent on ne sait comment à créer entre eux une forme de complicité. Mais voici qu'un jour, Muçaille est retrouvée violée par un adolescent. La justice prend l'affaire en charge, et le coupable, rapidement identifié, sera exécuté par gonds et verrou ! Le châtiment ultime si terrible en fait, que même les gens qui avaient pitié de l'enfant finissent par la maudire elle aussi.Les portes servent à entrer et à fermer, mais elles peuvent également servir à punir, voire à purifier.

Avec Un Meurtre de Corbeau, de Denis Labbé, on apprend également que les portes peuvent servir de souvenirs. Souvenirs de vies, souvenirs de morts, le narrateur, qui vient d'acquérir la maison de ses rêves, sous la forme d'un antique moulin au bord d'une rivière, va en faire la douloureuse expérience. Après avoir passé tout son temps libre à rénover son acquisition, il s'attaque en dernier à la restauration de la porte d'entrée. C'est alors que les incidents se multiplient tout comme les cadavres de corbeaux. Hallucinations ? Folie passagère ? Obsession maladive ? Les médecins en donneront leur langue au chat, mais le narrateur, lui, comprendra finalement quel vécu sanglant revit en lui

Le neuvième texte, Chemin de Croi(x), d'Amélith Deslandes, nous plonge dans le cauchemar d'un homme emprisonné dans un labyrinthe de pièces vides et nues, dont chaque mur est percé d'une porte, toujours la même. La solitude et l'errance le rendent peu à peu fou, mais il va, passé un certain temps, s'apercevoir qu'il n'est pas seul dans ce chaos organisé. D'autres personnes, des humains, peut-être, errent également, d'autres inconnus. Et avec cette pensée, les souvenirs de l'homme défilent, au gré des pièces et des pas. Le lecteur découvrira finalement le fin mot de l'histoire, les raisons, et surtout, l'identité de ce voyageur immobile, mais je ne vous en dirai pas plus ! Une chose est sûre, cette nouvelle est à la fois magnifique et horrifiante !

Le dernier texte, de Karim Berrouka, vous surprendra. Entretien avec une porte, comme son nom vous l'indique, parle non seulement dune porte, mais surtout, parle avec la voix de la porte ! Quoi de mieux pour clôturer cet Emblème que de donner son mot à dire à celle qui en a été le thème. Et malgré ce qu'on pourrait croire, lorsqu'elles décident de parler, les portes se révèlent plutôt disertes, même si ce qu'elles ont à raconter n'est pas réjouissant. Cette porte qui vous dévoile là les mystères de sa conception et sa raison d'être a été conçue pour ne jamais être ouverte et cet enfermement lui pèse. Elle va donc raconter sa genèse au lecteur, lui expliquer sa solitude et le poids de son mutisme et le soulagement qu'elle éprouve, enfin à se confier à quelqu'un. J'espère, Ô lecteur, que vous saurez désormais prêter attention à ce que vous disent vos portes lorsqu'elles grincent doucement lorsque vous les touchez : leurs murmures ont plus de sens que bien des hurlements

L'article qui clôture cet Emblèmes, Ouvrons la Porte, de l'anthologiste Antoine Lencou explore les définitions et les symboliques se rattachant à cet objet que nous franchissons, le plus souvent sans y prendre garde, à plusieurs reprises chaque jour. Portes et passages, symbolique de la vie et de la mort, la Porte et sa clef, les Portes dans l'histoire de forteresses, et les Portes des religions. Les Portes, au sens propre et au sens figuré, abondent dans toutes les cultures et les mythologies, emblèmes de passage physique ou immatériel, frontière d'avec le monde des dieux et barrière dans celui des vivants.

Je conclurai ainsi ma chronique de cet Emblèmes : comme d'habitude, un recueil empli de talents et d'originalité, une diversification des sens et des visions du thème, un passage entre le réel et l'imaginaire Cet Emblèmes est lui aussi une porte vers l'Imaginaire et les mythes qu'explorent ces aventuriers que sont les écrivains. Franchissez donc ce seuil, laissez-vous entraîner dans cet univers aux mille portes, et surtout n'oubliez pas de la laisser ouverte pour ceux qui vous suivront..