Lélio
Arsenik_ : Bonjour Lélio.
Lélio : Bonjour !
A : Je vous remercie de consacrer un peu de votre temps aux Chroniques de l'Imaginaire en acceptant de vous prêter au jeu de l'interview. Pourriez-vous tout d'abord vous présenter à nos lecteurs même si ce n'est pas votre exercice favori ?
L : En fait, c'est surtout l'interview qui n'est pas mon exercice favori ! Pour la présentation, c'est très simple Je m'appelle Lélio, j'ai 32 ans, je suis publiée depuis 2001.
A : Vous avez eu de nombreux métiers et activités, mais où se place l'écriture dans ce parcours ? Est-elle présente depuis votre plus jeune âge ou bien est-ce grâce à ce parcours éclectique que vous en êtes venue à faire de l'écriture votre métier ?
L : J'écris depuis que je sais tenir un crayon. Mais ce n'est pas juste une question d'écriture. Dans une interview, Mélanie Fazi dit qu'elle a aussi beaucoup pratiqué le dessin, au même titre que l'écriture. La France aime bien "cataloguer", mais je pense qu'un artiste a surtout envie d'exprimer quelque chose. J'ai aussi fait du dessin, des fois je barbouille quelques couleurs, mais il est évident que ce n'est pas par ce biais que je m'exprime le mieux. Donc je raconte à travers ce que je maîtrise : l'écriture, le théâtre, les films.Si j'ai développé particulièrement l'écriture, c'est parce que j'en ai eu envie d'abord, et ensuite parce que les circonstances s'y sont prêtées (la première publication, puis les autres) et le reste a été mis entre parenthèses pour quelque temps.
A : On peut classer (excusez-moi pour ce terme, mais comme vous avez dit plus haut le français aime cataloguer ;-) ) vos écrits dans le domaine du fantastique ou plus généralement de l'Imaginaire, êtes vous uniquement attirée par ce genre ou bien pensez vous changer de genre selon l'inspiration ?
L : De façon générale je n'écris pas en me disant "tiens, là je vais faire de l'imaginaire". Pour l'appel à textes de Lilith, il se trouve que je venais de terminer un texte et que c'est seulement "après" que j'ai découvert la maison d'édition Oxymore, et que j'ai vu l'appel lancé par Léa Silhol et que j'ai donc envoyé ce texte. Ca s'est passé presque par hasard. Ensuite le hasard est devenu évidence.Mais pour vous répondre, j'aime d'autres "genres", notamment le roman noir et/ou le polar : Ellroy, J. Kellerman, T. Willocks, Rennie Airth, Benaquista, P. Cornwell, Simenon
A : Quelle était la place de la littérature et/ou des livres dans votre enfance ? Et maintenant quels sont les auteurs qui vous aimez lire et/ou qui vous inspire ?
L : Je lisais des livres très peu adaptés à "mon âge", mais par contre, bizarrement, je lisais très peu, beaucoup moins, en fait, que je n'écrivais. Je regardais surtout les couvertures. La boulimie est venue plus tard.
Ceux que j'aime maintenant ? Dans l'imaginaire, Léa Silhol, absolument. Je ne dis pas ça parce quelle a écrit ma préface ! L'oeuvre qu'elle bâtit, là, sous nos yeux, est absolument monumentale. Je ne sais pas si la plupart de ses lecteurs s'en rendent bien compte : c'est un univers, au sens propre comme au sens figuré, et que les deux convergent, que tous les fils se tendent aussi parfaitement, ça c'est rare. Comme je l'ai déjà dit, j'ai aussi une fascination pour l'animalité, et les fays de Léa sont magnifiquement "animaux".
A : C'est vrai, je suis en totalité d'accord avec vous, l'oeuvre de Lea Silhol que ce soit ses propres écrits que ceux qu'elle publie est vraiment un univers à part que j'apprécie, tout particulièrement son recueil Musique de la frontière qui m'a réellement enchantée. Cette femme est fabuleuse.
L : J'aime aussi d'autres auteurs contemporains de l'imaginaire : Luvan qui a un style, une langue, un phrasé inimitables. Mélanie Fazi pour ses personnages parfois opaques, insaisissables Il y a quelque chose chez elle de Ruth Rendell. Puis là aussi, une forme d'animalité : le langage animal nous est étranger, mais finalement le langage humain aussi, puisque c'est toujours le langage "de l'autre" Il y a chez Mélanie comme chez Ruth Rendell l'acceptation de cette opacité, de cette étrangeté
J'apprécie énormément Gary Braunbeck également.
A : J'ai vu sur votre site que vous avez en lien les sites de Stephen King et de Thomas Harris, j'imagine que ce sont des auteurs que vous aimez ? Pensez vous que Stephen King est le maître de son genre ? Que pensez vous de ces auteurs à gros tirages qui sont malgré ou grâce a leur talents devenus commerciaux (rien que le nom de l'auteur est vendeur) ?
L : Je trouve qu'il y a quelque chose d'un peu méprisant dans la façon dont une élite perçoit les "auteurs à gros tirage". Il y a une dizaine d'années encore, j'avais moi-même ce type de regard Ca me fait rire, c'est comme au Festival de Cannes, où le jury préfère toujours "sauver" de petites productions et ne récompense jamais les énormes succès publics. Je n'ai rien à "penser" sur King, déjà je suis une mauvaise théoricienne, et puis surtout je ne pense pas qu'il ait besoin de mon regard ! C'est "le Maître" oui, si on veut. Il l'est devenu à beaucoup de titres : talent, popularité, gros tirages Et puis aussi parce que c'est un pédagogue exceptionnel, l'air de rien, avec simplicité : il n'y a qu'à lire Ecriture, qui est à la fois un récit et une "boîte à outils" formidable. Maintenant "le Maître" je trouve que ce mot a une consonance SM :-)) Mais bon, après tout, pourquoi pas.
A : Et Thomas Harris ?
L : J'ai aimé surtout, comme tout le monde, toute sa trilogie Hannibal.
A : J'ai noté dans votre recueil Douze heures du crépuscule à l'aube que les religions ont une place importante (la chrétienté et le judaïsme), pourquoi ces deux religions ? Quel message avez-vous voulu faire passer en faisant côtoyer ces deux religions dans votre recueil ?
L : On ne parle bien que de ce qu'on connaît le mieux. Je ne connais que très peu l'islam, et même si je m'intéresse à d'autres religions : bouddhisme ou hindouisme, mes connaissances restent superficielles. Voilà pourquoi je les évoque peu.
En revanche je me sens beaucoup plus proche de l'animisme, je m'intéresse énormément à la culture amérindienne, ou encore à la culture papoue, je me sens très proche de la nature, des animaux, d'une certaine "magie", et je crois que, même si peu de lecteurs le remarquent, cette vision "animiste" du monde aussi présente dans mes textes.
A : Un peu comme les Fay de Léa ?
L : Ca, ce serait à elle de répondre. En ce qui concerne le christianisme, j'y ai "cheminé" plus de trois ans. Et le judaïsme, je m'y "situe" : ce n'est pas une simple question de "croyance" mais, bien plus que ça, d'identité. Comme mes mains, mes reins ou mon foie.
Message ? Je ne fais passer aucun message. Je fais passer ce que je vois, ce que je ressens, ce qui me fait vibrer que chacun prenne ce qu'il veut ensuite. Je me veux passeuse, je ne me prétends pas messager.
A : J'ai pensé « message » surtout par rapport au texte Tisha Beav qui traite de la guerre entre deux religions, thème qui malheureusement revient bien trop dans nos journaux. Vous sentez vous concernée par ce qui se passe en Israel vous qui avez vécu a Tel Aviv ?
L : Je me sens évidemment concernée par tout ce qui se passe en Israël. (A ce propos, d'ailleurs, j'ai vécu aussi à Haïfa et en kibboutz, et un temps à Jérusalem aussi). Je suis bien plus que juste "concernée" : il y a de "vrais gens" que j'aime, là-bas, et puis une part de moi y est aussi.
Maintenant je récuse totalement ce terme "guerre entre deux religions" : ça, c'est du discours Bush-Ben Laden, et je le refuse. C'est à la base une guerre de territoires et un conflit de populations. Tisha Beav ne traite pas de la guerre, moins encore de "la guerre entre deux religions", mais de deux douleurs qui se rencontrent et qui se soignent. D'un homme et d'une femme, brisés, blessés Et de comment ces deux êtres pris dans une tempête qui les propulse l'un contre l'autre, peuvent s'aimer malgré tout, au-delà.
A : L'enfance et la famille ont aussi leurs places dans ce recueil, mais il me semble que ce sont des enfants en souffrance et des familles déchirées, pourquoi ?
L : Je m'intéresse à ce qui fait mal et comment on peut aller au-delà. Il y en a qui contournent, d'autres qui traversent mais il y a toujours un moment où l'abcès ressurgit et où il faut bien faire avec, et ce qui m'intéresse, c'est ce moment-là. La cellule peut être familiale. Mais elle peut aussi être une personne. Un quartier, un immeuble, une ville. Il y a des zones infectées, des gangrènes, des nerfs qui font mal : et moi je regarde, je viens appuyer dessus et je regarde ce qui sort. Et j'essaie autant que je peux de sortir mes personnages de là. Mais parfois ce n'est pas possible, ils restent dedans, le mal est plus fort : je les accompagne toujours jusqu'au bout du chemin, en tout cas Et, si c'est possible, j'éclaire le bout.
A : Vous qui êtes une voyageuse pensez vous à une traduction possible vos écrits pour les publier à l'étranger ?
L : J'aimerais, évidemment.
Mais je me vois tout aussi bien m'installer quelque part, ailleurs, et adopter la langue de là-bas.Pour tout dire, ce n'est pas impossible
A : Pensez-vous à un pays en particulier ?
L : Oui. Mais je ne le dirai pas :-) D'ailleurs, pour le moment, rien n'est en route : je n'envisage rien tant que j'ai mes rats. Je trouve que c'est irresponsable de partir lorsqu'on a la charge d'animaux Les miens ont déjà vécu l'abandon, et il n'est pas question qu'ils le revivent. Tant qu'ils sont en vie, la question, pour moi, ne se pose pas.
A : Avant de publier aux Éditions Oxymore vous avez été publié dans des fanzines littéraires, pensez vous que cette forme d'édition est un bon tremplin pour les auteurs ?
L : Non, en fait, ça ne s'est pas passé comme ça
Mon premier texte accepté pour publication, c'était Batismo Te (première version pour le recueil, je l'ai beaucoup revue) dans l'anthologie Lilith et ses Soeurs. Et ça été mon premier texte publié, également. Ensuite seulement, j'ai envoyé des textes à des fanzines. La seule exception, c'était SolAir, un fanzine généraliste, qui m'a informé qu'ils allaient publier mon texte une quinzaine de jours après l'acceptation de Léa Silhol pour Lilith. Tout est allé très vite, après il paraît que c'est souvent comme ça !
A : Toujours dans l'expression mais cette fois-ci scénique, que vous apportent le théâtre et le cinéma que ne vous donne pas la littérature ?
L : C'est autre chose. Déjà : le contact direct. Le travail de groupe. L'excitation. Les idées qui fusent. Le partage. Ca me manque, en ce moment, beaucoup.
A : Pouvez vous nous parler un peu plus de vos expériences de mise en scène au théâtre ainsi que de la réalisation du court métrage que vous avez fait ?
L : Il n'y a pas énormément à dire. J'ai fait deux mises en scène quand j'étais étudiante (La Putain respectueuse et une pièce courte que j'avais écrite, avec une jeune actrice formidable), j'ai aussi pris des cours d'interprétation à Paris Et non, je n'ai pas réalisé "un" court-métrage : j'ai participé à une petite quinzaine de tournages (ciné / télé) en enfilant diverses casquettes : perchiste, scripte, scénariste, figurante, assistante-réa, metteur en scène, casteuse, comédienne occasionnelle etc.Mon premier tournage d'étudiante était une adaptation filmée du Mur de Sartre.
A : Et Internet ? Les blogs ? La publication en ligne d'auteurs ? Comment vous placez vous par rapport a ce média qui est devenu inéluctable ?
L : Internet c'est juste un outil. Très utile, d'ailleurs, pour les recherches ! Les blogs.. J'ai essayé... J'ai tenu quelques jours... Puis je n'ai pas tenu. Je ne suis pas assez régulière. Me raconter ne m'intéresse pas.
A : A propos de l'écriture j'aimerai (et nos lecteurs aussi j'espère) savoir comment se passe une journée type d'un écrivain ?
L : Euh On se lève, on fait pipi, on se cogne aux meubles, on se gratte le crâne, on va voir si la boîte d'intérim vous propose le poste de vos rêves (en général, un contrat de 6 jours en usine), on se demande ce qu'on va bouffer le soir, et puis quand on a le temps, on écrit
A : Préférez-vous écrire sur le papier ou traitement de texte, le matin ou le soir, tous les jours ou selon l'inspiration ? .
L : Ce que je préfère c'est quand mon ordi accepte de ne pas bugger toutes les cinq minutes, ce qui est rare ! Pour vous répondre : plutôt le traitement de texte / l'après-midi / et quand j'ai de la chance : tous les jours. C'est mieux pour ne pas perdre le fil Voilà !
A : Avant de vous quitter, si nous parlions de vos projets ?
L : J'ai reçu dernièrement une bourse du CNL pour l'écriture d'un roman qui se situe plutôt dans un univers noir/polar. Le titre définitif est Le Corps Traversé. Très, très différent de mon recueil. Plus proche d'un langage "parlé".
A : Peut-on connaître un peu le thème de ce futur roman et quand il paraîtra ?
L : Non... Mais le temps venu, on en reparlera :-)
A : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à ces questions, et bonne chance pour la suite de votre parcours ! Nous attendons impatiemment votre prochain roman
L : C'est moi qui vous remercie.