Les Chroniques de l'Imaginaire

Quesne, Didier

Polgara : Tes romans sont ont tous un point en commun : ton style particulier qui oscille entre le vieux français et les phrases courtes et rythmées plus caractéristiques du polar. Cette gymnastique est-elle un jeu pour toi ?

Didier Quesne : Je ne vois pas ça comme une gymnastique, en ce sens que je n'y réfléchis pas vraiment. Quand je fais parler un personnage qui évolue dans un monde vaguement moyenâgeux, je n'ai pas envie de le faire s'exprimer en termes "modernes", ce ne serait pas cohérent, à mon avis. Donc j'invente certains mots, j'en utilise d'autres empruntés au peu que je connais de vieux français, et je mixe le tout avec du patois de l'ouest de la France.Quant aux phrases plus rythmées, plus courtes, je les emploie lorsque je décris une action, une scène dans laquelle je veux être incisif, clair, percutant.

P : Dans la plupart de tes romans, tu places les personnages féminins en avant. Est-ce délibéré ? Essaies-tu par ce biais de faire passer un message ?

DQ : Je ne crois pas avoir de message à faire passer, ou alors je ne sais pas ce qu'est un message. Le fait que les personnages que je décris, que je vois vivre sont surtout des femmes est peut-être dû au fait que le machisme m'énerve. Non que les femmes soient plus puissantes, plus intelligentes, plus tout, mais je pense qu'elles sont autant tout cela que les hommes, et surtout pas moins. Pour mes histoires, je ne me "casse" pas la tête, c'est-à-dire que si je vois un personnage féminin, alors le personnage sera féminin.

P : Et dans ton dernier roman La lande aux sorciers, tu as préféré mettre en avant un personnage masculin en première ligne. Pourquoi ?

DQ : Parce que. Je le voyais masculin, c'est tout. Je ne crois pas avoir réfléchi à cela.

P: Finalement, il semblerait que ton approche de l'écriture soit très instinctive. Quand tu as une histoire en tête, tu attends qu'elle mûrisse ou tu te rues sur ton clavier pour ne pas la perdre ?

DQ : Je n'attends pas qu'elle mûrisse et, si je ne suis pas en train d'en écrire une autre au même moment, je la commence. Si je raconte autre chose, j'en écris deux ou trois pages que je reprends quand j'ai terminé la précédente.

P : On pourrait presque rapprocher les histoires que tu racontes du roman d'initiation : les jeunes personnages découvrent leurs possibilités et aussi leur responsabilités; ils ont également guidés par un pair plus expérimenté. Cette période de transition, entre l'insouciance et l'accès à un statut d'adulte a-t-elle une importance particulière pour toi ?

DQ : Sans doute. Je crois que la vie est ainsi faite, c'est-à-dire que l'on fait face à plusieurs périodes au cours desquelles on est aidé, guidé, éduqué par des personnes plus expérimentées dans le domaine qui nous préoccupe. Quelle que soit cette période, quel que soit le moment de la vie et l'âge que l'on a. Il est toujours un instant où quelqu'un en sait plus que nous sur un point. Ne pas profiter de l'enseignement que cette personne est capable de nous donner serait, à mon avis, une erreur, si l'on veut progresser.Quant à parler d'insouciance, je connais bien des gens qui ne sont pas insouciants, mais qui restent extrêmement inexpérimentés dans leur domaine.

P : On note une évolution depuis Leh'Cim, tes romans sont plus noirs, la psychologie plus fouillée, cela signifie-t-il que tu abordes la construction de tes personnages d'une manière différente ?

DQ : C'est vrai que Leh'cim a été écrit dans un contexte très difficile pour moi. Sombre, douloureux et infiniment triste. Qu'il y ait une évolution après cette histoire est pour moi quelque chose de rassurant, car cela signifie que cette horrible période m'a fait évoluer. Donc si j'ai changé, ce que je raconte en a nécessairement subi le contrecoup.

Je n'ai pas envie de raconter d'histoires qui me paraîtraient "mièvres". J'ai envie de vie, de plaisirs, de douleurs, de la rugosité des événements, et raconter mes histoires me permet cette liberté immense.

P : Qu'est-ce que le fait d'être publié a changé dans ta vie ?

DQ : Au début, pas grand chose. Maintenant (Étrangère a été publié en 2001, je crois), j'y ai pris goût. Mon ego en est extrêmement satisfait, et cela doit certainement changer ma façon d'écrire. Avant, je racontais comme ça, sur le coup... Maintenant, je me surprends parfois à penser à ce que verrait un(e) lecteur(trice) en lisant ce que je raconte. Je suis moins seul dans mon histoire ; il y a quelqu'un qui se penche par-dessus mon épaule et qui lit en même temps que je raconte. Ce que je tente de dire c'est que, quand j'écris une histoire, je n'aime pas qu'elle soit lue par qui que ce soit avant d'être terminée (je ferme mon ordinateur, je râle quand les miens s'amusent à essayer de lire...), mais dans mon fonctionnement actuel, il y a "quelqu'un" qui suit la progression de l'histoire. Cela, je ne le sentais pas auparavant et c'est sans doute ce qui a changé au cours du temps.

P : Tu n'aimes pas qu'on lise tes manuscrits en cours d'écriture mais prends-tu en compte les commentaires que t'ont fait tes lecteurs ?

DQ : Je n'ai pas vu, ou entendu de commentaire sur mes histoires, sauf ceux que me font les miens et ceux des gens qui viennent au salon [Edit : salon du livre de Paris] (mais ils ne font jamais de reproches ou de remarques particulières). Si je le peux, si ce sont des reproches, je crois que j'en tiens compte.

P : Tu as déjà écrit dix romans et d'après ce que je sais, tu as deux manuscrits en attente de parution. N'as-tu jamais connu le blocage de la page blanche ?

DQ : Jamais. J'ai toujours des idées, des images, des sons, des paysages. Je me place devant un clavier, et je tape ce qui vient. S'il ne vient rien, je fais autre chose, ça viendra plus tard. Il m'arrive d'écrire trois pages d'affilée et, le lendemain, une ligne. Écrire m'est un plaisir. Le jour où je devrai me faire violence pour raconter quelque chose, je pense que j'arrêterai, je ne suis pas maso. Donc, la page blanche, j'aime !

P : Plus généralement, qu'est-ce qui nourrit ton imaginaire ?

DQ : Tout, je crois. Tout ce qui fait ma vie, tout ce que je connais des systèmes animaux et végétaux, tout ce qui fait ma modeste expérience de la vie, l'amour que je porte aux miens, la haine que je porte aux racistes, aux intolérants, aux suffisants.

P : Qui ou qu'est-ce qui a provoqué ton envie d'écrire ?

DQ : Quand j'étais gamin, je mentais souvent. Je racontais des histoires, parfois pour ne pas me faire punir après une bêtise, parfois pour faire l'intéressant, parfois pour faire croire que j'avais fait mes devoirs. C'est sans doute de ce penchant qu'est venue l'envie de raconter. J'ai raconté beaucoup d'histoires à mes deux enfants, quand ils étaient tout gamins. Je devais le faire en leur donnant à manger, ou bien quand nous étions à table et que le menu ne leur convenait pas. Un livre, dans ces cas-là, ce n'est pas très pratique alors j'ai inventé des lieux, des personnages, des situations... On m'a fait la remarque selon laquelle cette version paraît très romancée, c'est pourtant la stricte vérité, mes enfants s'en souviennent, j'ai vérifié.

P : Et quelle est ta relation avec tes écrits ? t'arrive-t-il de les relire après parution ?

DQ : Non, ou très rarement. Je ressens une sorte d'autosatisfaction honteuse à relire ce que j'ai écrit et qui est publié. Je connais la trame de l'histoire (même si j'en oublie les détails), et cela ne me donne rien de relire tout ça, d'autant plus que je suis très souvent passé à autre chose quand le livre est publié. En fait, je crois que cela ne m'intéresse pas de relire mes histoires. Non que je ne les aime pas, il n'est pas un seul des livres sortis que je renierai, mais j'en connais l'âme.

P : Pour finir, Quels sont tes projets ?

DQ : Littéraires ? continuer. Tant que j'aurais quelque chose à raconter, je le ferai.

P : Que peut-on te souhaiter pour l'avenir ?

DQ : Que Nestiveqnen continue à vivre et à publier mes histoires et puis, dans le domaine de l'irréalisable, que Spielberg apprenne le français, lise un des bouquins et qu'il l'aime ; mais ça, c'est de la Science fiction.