Les Chroniques de l'Imaginaire

Schilli, Virginia

Polgara : Virginia, merci de répondre à mes questions malgré les circonstances particulières. En effet, je ne sais pas si tu es au courant mais tu viens de mourir au terme d'une bien longue existence. Et maintenant, on se retrouve toutes les deux devant les portes de l'Au-delà à attendre qu'on nous dise ce qui va nous arriver. Dis-moi, là tout de suite, tu te sens comment ?

Virginia Schilli : Plutôt détendue, je dois dire. Si je suis ici, c'est de mon propre chef et puis j'ai de nombreuses connaissances à l'intérieur. On me fera une place de choix sans problème !

P : Sais-tu comment tu es morte ?

VS : Je crois me souvenir que j'ai fait le saut de l'ange du haut d'un beffroi, après avoir retrouvé le spectre de mon amour de jeunesse. Petit clin d'oeil à ceux qui me suivent depuis mes débuts il y a trois ans.

P : Qu'est-ce que tu as ressenti au moment de basculer dans la mort ?

VS : Une sensation d'accomplissement intense. Ce saut a mis fin à une existence remplie comme il se devait. J'ai satisfait mes désirs, mes ambitions et laissé une trace durable dans le monde de la littérature. Il était temps pour moi de m'en aller, alors que j'avais encore la possibilité de choisir le moment et le lieu de ma mort.

P : Tu es au courant de ce qui est écrit sur ta tombe ?

VS : Si ma famille a respecté mes dernières volontés, je n'ai pas de tombe en fait. Je veux que l'on se souvienne de moi à travers mes écrits et mes personnages, pas comme d'une carcasse qui sert d'engrais à la vermine, avec une dalle de marbre sur laquelle on ne vient se recueillir que par contrainte le jour de la Toussaint. Non, ma dépouille a été incinérée et mes cendres viennent d'être déversées dans un coin de verdure que j'affectionnais. Comme ça je n'emmerde personne dans la mort.

P : Des obsessions t'ont-elles suivies par delà la mort ? A la limite, tes personnages ont-ils profité de ton trépas pour revenir te tourmenter ?

VS : Mes personnages ont toujours eu une dimension bien palpable et vivace, mais dans ma tête seulement. Si je suis encore capable de penser après ma mort, il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement. Et puis, ne penses-tu pas plutôt que c'est moi qui les ai tourmentés ? Quant à des obsessions, je n'ai pas spécialement de raison d'en avoir, maintenant que je suis débarrassée de mon enveloppe charnelle.

P : Et comment tu te sens maintenant ?

VS : Je suis dans l'expectative. J'attends de voir si on peut me débarrasser un coin et me fournir du papier et un crayon. De nouvelles idées vont peut-être me venir, à la découverte de ce nouvel univers et je me sentirais frustrée de ne pas pouvoir les coucher par écrit.

P : Parlons littérature maintenant. As-tu continué d'écrire les aventures d'Anders Sorsele après la publication de Délivre-nous du mal ? A-t-il encore été dans une quête d'identité érotique aigre-douce ?

VS : Oui, ce qui était à l'origine un roman isolé s'est transformé en diptyque parce que j'avais encore des choses à faire vivre à mes deux personnages principaux, Anders et Kethel. Et puis j'ai agrandi leurs aventures jusqu'à en faire une trilogie, notamment grâce à l'insistance de mes lecteurs. Je pense que les quêtes érotiques aigre-douces sont une forme de récit que j'ai décliné ensuite dans les autres romans des mésaventures d'Anders. Chaque auteur a ses thèmes fétiches, je suppose. Mes livres ont reflété mes préoccupations, mes passions et mes pulsions au fil des ans et chacun est unique.

P : Quels thèmes as-tu eu envie d'explorer tout au long de ta carrière d'auteur ? Y-a-t-il quelque chose que tu n'as pas pu écrire ?

VS : Je n'ai pas cherché à écrire des romans en fonction de thèmes à aborder ou de messages à faire passer. Je le répète, écrire est avant tout un moyen de m'exprimer et de me faire plaisir, et les genres de l'imaginaire que sont le fantastique et la fantasy m'ont permis d'inventer des mondes et des personnages le plus à mon image possible. Je ne me pose pas de limites non plus. Il n'y a qu'à relire quelques passages choisis de mes deux premiers romans. Du moment que cela s'inscrit dans le cours logique de mon intrigue, je ne me censure pas. Après tout, mes livres ne sont pas étiquetés comme littérature pour enfants, et je ne force personne à me lire. Les titres sont toujours assez évocateurs quand même.

P : Ton processus de création a évolué au fil des années ou est-il resté immuable ?

VS : Je n'ai jamais eu de rituel véritable. Pour moi, la création de romans reste un plaisir avant d'être une tâche alimentaire. J'ai toujours préféré laisser le temps nécessaire à mes idées pour mûrir plutôt que de me précipiter, de méparpiller. M'imposer un agenda tuerait immédiatement mon inspiration. En gros, je ne me' suis jamais pris la tête. A un moment, je me suis laissée tenter par des collaborations mais j'ai vite refusé de faire les frais du manque de motivation ou de la lenteur de mes partenaires potentiels. J'aurais bien aimé créer une BD pourtant, mais je n'ai pas dû rencontrer les bonnes personnes.

P : En tant qu'écrivain, quelle trace as-tu voulu laisser au sein de la communauté littéraire fantastique ? Penses-tu y être arrivée avant de mourir ?

VS : Je suis un écrivain non seulement de fantastique, mais de l'imaginaire d'une manière plus globale. L'important pour moi, c'est de communiquer des émotions fortes à un maximum de lecteurs. Faire vivre mes personnages dans d'autres esprits pour que chacun se les approprie. Sans vouloir paraître prétentieuse, je pense y être parvenue dès la sortie de Par le sang du démon chez Nuit d'Avril, gros succès critique.

P : As-tu aventuré ta plume dans différentes contrées littéraires fictionnelles ou réelles ?

VS : Bien sûr. Après deux romans d'une trilogie vampirique, j'ai créé des récits de fantasy médiévale plutôt âpre. L'un en deux tomes et l'autre en un. J'ai aussi rédigé un steampunk et un thriller, avant de revenir aux vampires dans le dernier volet de ma trilogie et un roman isolé. Pour finir, j'ai aussi écrit quelque-chose d'un peu plus sulfureux dans une veine ésotérique mais c'est resté assez confidentiel.

P : Qu'est-ce que tu n'as pas aimé dans le fait d'être auteur ? Qu'aurais-tu changé d'un coup de baguette magique ?

VS : Ah ah, la question à cent points ! La pauvreté inhérente à la condition d'écrivain à temps-plein, je dois dire que je m'en serais passé. Sans demander le compte en banque de Bill Gates, j'aurais apprécié un peu plus d'aisance financière en rétribution du temps passé à ciseler mes oeuvres.

P : Maintenant que tu es morte, vas-tu continuer d'écrire ?

VS : Probablement, si on me fout un peu la paix. Mais y aura-t-il seulement quelqu'un pour me lire ?

P : On vient de me le dire, l'attente va encore durer une éternité. Tu as donc le droit d'organiser un dîner avec tous les auteurs morts de ton choix. Qui invites-tu ?

VS : David Gemmell, Chris Bunch, Robert Louis Stevenson, H.P. Lovecraft, Sheridan Le Fanu, Mary Shelley (j'ai pas très envie d'être la seule femme !), Arthur Rimbaud. Et comme ça fait pas tellement de monde, je voudrais bien envoyer un carton d'invitation à Brandon Lee, Ian Curtis et Jeff Buckley.

P : Il semblerait que tu sois sur la voie de la réincarnation en personnage de fiction. Qui choisis-tu ?

VS : Grande question ! Bon déjà, ça sera en homme... Je me réincarnerais bien en Sephiroth (le méchant dans le RPG Final Fantasy 7). Comme ça je pourrais passer mon temps à me tripoter devant ma glace et j'aurais des tas de filles à mes pieds, dont la réincarnation de Virginia Schilli !

P : Bon retour sur Terre ! Et merci de m'avoir accordé cette interview lors de ton passage dans l'Au-delà. La vie est au bout du couloir lumineux ; )

VS : Merci mais... Je peux pas rester encore un peu ici ??