Les Chroniques de l'Imaginaire

Sire Cédric

Arsenik_: Bonjour Sire Cédric, je te remercie de te prêter si gentiment au jeu de l'interview pour nos lecteurs. Peux-tu te présenter en quelques mots pour commencer ?

Sire Cédric : Tout le plaisir est pour moi, chère Arsenik_. Me présenter ? Hmm, je suis simplement un passionné de livres, de musiques, et d'arts en général. En tant qu'auteur, j'ai publié trois livres aux éditions Nuit d'Avril, qui ont pour titres Déchirures, Angemort, et Dreamworld.

A : Une question me turlupine depuis un bon moment, pourquoi Sire Cédric ?

SC : C'est tout simple, en réalité. Ce pseudonyme vient d'une référence au personnage mythologique Circé. Quand j'ai commencé à écrire des histoires pour des fanzines, je les signais Sire C. J'ai décidé de conserver ce nom en publiant de manière professionnelle, et le moins qu'on puisse dire est qu'il continue de marquer les imaginations. (Rires.)

A : Justement, que penses-tu des fanzines comme mode d'édition ? Penses-tu que c'est une expérience bénéfique pour de jeunes écrivains ?

SC : J'en suis persuadé. C'est un milieu très énergique et enthousiaste, les fanzines et webzines offrent une première expérience de publication, avec de vrais lecteurs passionnés. C'est un peu comme les démos de groupes, en fin de compte. On se les passe, on se les échange, et on y découvre de nouveaux artistes en train déclore. Et puis, de nos jours, certains fanzines sont de qualité bien plus professionnelle que certaines revues distribuées en kiosques !

A : Dans sa chronique de Déchirures, Wong Li avait parlé d'un roman pour faire vivre plus amplement les personnages de ce recueil. Et quelque temps après te revoilà avec Angemort qui est une sorte de continuité des personnages que nous avons rencontrés dans Déchirures. Ce recueil de nouvelles était-il une sorte de préparation à un premier roman ?

SC : Déchirures était, de façon claire, une première esquisse de mon univers. Mes premiers tâtonnements aussi. On peut donc vraiment parler d'oeuvre de jeunesse, pour ce livre-là. L'écriture d'Angemort a suivi, de manière fluide, sans que rien ne soit prémédité. Un prolongement naturel, en quelque sorte, de l'écriture du recueil. Tout ce que j'écris est toujours lié au reste, d'une manière ou d'une autre. Des pièces de puzzle, aux couleurs différentes à première vue, mais qui s'assembleront peu à peu.

A : Avec ce roman, tu vas assez loin dans la dérive. N'as-tu pas peur de te cantonner dans un genre ? De limiter tes lecteurs, car certains peuvent être rebutés par ce genre ?

SC : C'est marrant en fin de compte, car il y a eu un sérieux quiproquo à mon égard, ou en tout cas concernant mes intentions. Je vais essayer de le dissiper. Angemort était un gros délire, une expérience littéraire personnelle, si on veut. Je n'avais jamais lu de roman qui ressemble à ça, qui ait ce parti pris d'auto dérision, qui mélange clichés goth et délires manga. Ça m'amusait beaucoup d'être le premier à le faire. Et visiblement, ça n'est pas passé inaperçu. On y retrouve les éléments du roman gothique traditionnel (les lieux lugubres et isolés, les personnages riches et décadents en quête d'absolu) mais avec le rythme et le second degré des films de série B : des personnages caricaturaux à l'extrême, du sexe improbable, de l'action la plus extravagante possible et une débauche d'effets spéciaux en prime. C'était très excitant de mettre tout ça en oeuvre, et je suis vraiment fier du résultat. Par contre, je n'ai jamais prétendu que j'écrirai ce genre de choses à la chaîne ! Bien au contraire, maintenant que je l'ai fait, je peux justement passer à autre chose sans regret ! Chaque nouveau livre est pour moi l'occasion d'essayer quelque chose de différent. Dreamworld, par exemple, n'a strictement rien à voir !

A : Oui, parlons-en, de Dreamworld, si tu le veux bien. Je viens de le lire pendant mes vacances et il me semble, un univers plus féerique que gothique non ?

SC : Oui, féerique. Très poétique, résolument exalté. Disons que la différence principale avec mes ouvrages précédents, c'est que ceux-ci s'inscrivaient dans le courant horrifique traditionnel, tendance gothique et splatterpunk. Dreamworld s'éloigne totalement de cette littérature de genre. J'ai placé les nouvelles les plus classiques en ouverture, Cross-Road et Cauchemars, comme une sorte de transition, ou de palier, puis le recueil glisse vers des textes qui relèvent davantage de la littérature générale. On est plus proche de Hugo ou Gautier que de Brite ou Masterton, cette fois.

A : Question évidente : pourquoi le monde des rêves ?

SC : Parce que c'est vraiment mon univers. La petite flamme dans mon coeur et derrière mes yeux. Quoi que je fasse, il est là, les fées me regardent dans les miroirs, l'ombre est toujours plus sombre quil n'y paraît, et pleine de choses qui grouillent. Cet univers a donc fini par se cristalliser tout seul dans ce terme. Mais il était déjà présent, en filigrane dans mes écrits, d'allusions en infimes indices. Il est fait de rayons de lune et d'arc-en-ciel, de nos souvenirs d'enfants qui parfois tentent de nous embrasser sur la bouche quand nous dormons, et qui peuvent tout aussi bien nous tuer que nous ramener à la vie. La nouvelle Nenia de Déchirures s'en était directement échappée, déjà. C'est ce monde-là, qui s'est dessiné tout seul au fil du temps, et qui continue de le faire, sans se presser. Et puis, au bout du compte, c'est aussi toute ma démarche d'écrivain qu'il représente : l'euphorie de tendre les mains, d'essayer d'effleurer la magie. De sentir sa chaleur s'enfuir en riant, et de savoir qu'elle nous attend juste un peu plus loin, qu'il n'y a qu'à tendre les mains encore. Toujours vers l'avant. Toujours plus proche.

A : Ce recueil me semble encore plus abouti que tes précédents écrits, comme s'il venait de plus profond en toi, on pourrait même dire comme dans certains milieux que c'est le recueil de la maturité ?

SC : Maturité, certainement pas encore ! (Rires.) Je suis au tout début d'une existence d'écrivain digne de ce nom. Je continue de me chercher, de livre en livre, de rêve en cauchemar. Il est important pour moi de faire mieux à chaque livre, ne serait-ce que par respect pour les lecteurs, pour ne pas les décevoir, pour ne pas me répéter. La prose de Dreamworld est bien plus élaborée que ce que j'écrivais dans le passé. L'aspect humain, psychologique, bien plus poussé, aussi. Comme tu le dis, Dreamworld vient de ce qu'il y a de plus profond en moi. Dans mes précédents livres, j'avais toujours eu un peu peur d'aborder ces choses-là. Quand j'ai écrit Angemort, le second degré enfantin affiché du début à la fin n'était finalement qu'une parade de ma part, pour ne pas affronter mes propres démons. J'en avais profité pour tout miser sur l'action, l'extravagance. Mais c'est aussi pour ça que Dreamworld est à ce point important à mes yeux. Cette fois, j'ai osé plonger au sein de mes fantômes, dansé avec eux un peu, accepté de représenter mes obsessions. Je pense que le moment était venu pour ça, et mes propres angoisses et certitudes sont assez claires dans Dreamworld.

A : Certaines scènes ont un caractère sexuel assez prononcé, voire même très cru et très violent ? N'as-tu pas peur de choquer tes lecteurs ?

SC : Oh non, bien au contraire ! Autant Angemort peut choquer, c'est vrai, autant Dreamworld est un livre lumineux, qui s'adresse à tous les publics. Violent, et paradoxal, oui, comme le soleil qui nous brûle les yeux si on le regarde en face, comme nos rêves, comme notre coeur, mais comme eux dénué de la moindre vulgarité. On est dans le domaine de la poésie, de l'exaltation. Toute la violence et la sexualité qui en émanent ne sont jamais que le prolongement physique d'émotions, de sensations, d'aspirations. Le tout toujours esthétisé et onirique. S'il y a une chose qui me fait horreur, et que j'écarte à tout prix, dans les arts comme dans la vie, c'est la vulgarité.

A : À la fin de chaque nouvelle tu indiques une bande son, est-elle ce que tu écoutais pendant l'écriture ou un morceau qui pour toi illustre le texte ?

SC : C'est ce que j'écoutais, oui. Comme mes disques tournent à longueur de journée quand j'écris, et que forcément cette musique influence le rythme de la pensée et de la diction, il me semble juste de mentionner cet accompagnement musical. Une façon de remercier les artistes, aussi, pour leur présence dans ma vie.

A : Est-ce une manière d'aller plus loin avec le lecteur dans ton intimité d'écrivain ?

SC : J'espère surtout que cela apporte un petit plus. Que cela ajoute une teinte, une ambiance plus précise, aux histoires. Peut-être certains lecteurs auront-ils la curiosité d'aller écouter les morceaux ou les groupes cités. Je l'espère, en tout cas.

A : Toutes tes histoires sont très visuelles, on s'y croirait ! As-tu déjà pensé au cinéma ou au théâtre ?

SC : Pas pour l'instant. Mais qui sait... Dans un premier temps, j'aimerai beaucoup travailler avec un illustrateur, dans le cadre d'un roman graphique par exemple. Ce serait une expérience nouvelle et passionnante.

A : Jad (personnage récurrent du recueil et du roman) est très attachante, peut être à cause de sa solitude et de son mal être ? Est-ce un sentiment que tu connais ? Comment ce personnage t'est-il venu ?

SC : Mes personnages sont tous assez torturés, il faut donc croire que je le suis moi-même, mais c'est un autre débat. (Rires.) En tout cas, je commence toujours à écrire sans savoir où vont me mener mes mots, rien n'est jamais planifié ou prémédité. Quand Jad est apparue dans la nouvelle Blood-Road (qui se déroule environ dix ans après Angemort) je l'avais juste esquissée avec le physique de mhh, ma petite amie de l'époque. Ce personnage s'imposait comme ça. Puis, au moment où je commençais Angemort, c'est tout naturellement que j'ai décrit l'entrée en scène de Jad par la description de cette apparence physique. Et c'est sur cette base que la jolie demoiselle s'est ensuite développée, et toute seule si je puis dire, je n'avais plus à réfléchir, juste à la suivre et retranscrire ce que le personnage vivait. J'écris souvent de cette manière.

A : Les chroniques et critiques sur tes livres sont toujours bonnes (en tout cas celles que j'ai lues), comment vis-tu cela ? Vises-tu une carrière de "star" de la littérature ? Le Stephen King français ?

SC : N'exagérons rien. Tu crois vraiment qu'Angemort plaira à tout le monde ? (Rires.) Mes livres ont reçu un très bon accueil, et cela me fait un plaisir immense, c'est évident. Mais pour le reste, je ne me projette pas, je ne m'attends à rien. Je débute encore ma vie d'écrivain, j'écris simplement pour me faire plaisir, et pour faire plaisir aux lecteurs. Aucune autre prétention.

A : Sire Cédric merci d'avoir consacré du temps pour cette interview je te laisse le mot de la fin ?

SC : Je te remercie de m'avoir consacré un peu de temps, charmante Arsenik_ ! Je salue les lecteurs des Chroniques de l'Imaginaire, et je leur donne rendez-vous dans le monde des rêves !

Sire Cédric, le 07 septembre 2007 Bande son : Angelo Badalamenti & David Lynch, Music from Twin Peaks