Les Chroniques de l'Imaginaire

Ferrière, Jean-Pierre

Polgara : Bonjour et merci d'avoir accepté cette interview pour le site des Chroniques de l'Imaginaire. Afin que nos lecteurs apprennent à mieux vous connaître, je vous propose de nous présenter votre parcours d'écrivain.

Jean-Pierre Ferrière : Mon parcours d'écrivain est tout à fait le fruit du hasard parce que je ne me destinais pas du tout au roman, encore moins au roman policier. Ce que je voulais faire depuis l'enfance, c'est du cinéma, de la mise en scène, pas acteur. Le hasard a fait que j'ai effectué mon service militaire au Maroc et là-bas j'ai rencontré des amis de mon père qui travaillaient un peu à Radio Maroc. Comme j'avais toujours écrit pendant l'enfance, c'est-à-dire des contes, des récits, des poèmes, on m'a demandé d'écrire une pièce pour la radio. J'en ai fait une, j'en ai fait deux, puis trois. C'était très amusant, je ne prenais pas ça au sérieux mais ça marchait bien. Mes premiers textes furent diffusés comme ça. A la fin du service militaire, je suis rentré à Paris et j'ai commencé à chercher du travail parce que je n'avais aucune recommandation et j'ai fait les petites annonces pour trouver n'importe quoi parce que, vraiment, je crevais de faim. J'habitais avec deux amies dans un tout petit local, mes amies avaient un bébé donc tout était pour le bébé ; c'était très marrant mais on avait rien à manger. J'ai donc fait les petites annonces du Figaro et je m'apprêtais à rentrer dans une usine pour être remplisseur de bouteilles de parfum. J'ai vu une petite annonce qui disait « comédienne cherche secrétaire ». J'ai eu un flash terrible : j'ai pensé tout de suite secrétaire homme, pas du tout une secrétaire dactylo etc. comme depuis l'enfance, je rêvais de Danielle Darieux, je me suis dit que c'était peut-être elle et j'ai téléphoné. Je suis allé au rendez-vous et je me suis retrouvé, très timide, avec huit filles qui attendaient avec toute une machine à écrire portative à la main et je me suis dit "je suis complètement un idiot, on recherche une secrétaire et non pas un secrétaire, je n'ai aucune chance". Mais je suis resté pour savoir qui était la comédienne. Je suis passé le dernier et je me suis retrouvé face à Roger Vadim.

P : Ah ! Quand même !

J-P F : Oui en effet. Il m'a dit qu'il cherchait une secrétaire pour travailler avec sa femme, Brigitte Bardot. Je n'y croyais pas une seconde, j'étais sûr de ne pas être engagé et donc, on a commencé à parler cinéma pendant un bon moment. Deux jours après, j'ai reçu un télégramme comme quoi j'étais engagé et je me suis retrouvé face à Brigitte Bardot. Bon c'était pas Danielle Darieux.

P : C'était quand même Brigitte Bardot.

J-P F : Oui et elle était très jeune et très gentille, mais ce n'était pas Danielle Darieux. Je suis resté à son service pratiquement un an. Je passais mon temps à faire des courses pour Brigitte Bardot, je signais des photos pour elle et les envoyais à des centaines de gars qui étaient à la guerre en Algérie à l'époque. Ils recevaient tous des photos dédicacées par moi etc. C'était pas très passionnant finalement. C'était le côté Vadim qui m'aurait intéressé, malheureusement... Pendant ce temps là, une des amies avec qui j'habitais avait connu un éditeur qui dirigeait la collection policière de la chouette en livre de poche ; il cherchait des auteurs. Donc il était en train de former une équipe d'auteurs et mon amie lui a donné mes textes de radio. Puis un jour elle m'a dit « tu as rendez-vous lundi à huit heures avec un éditeur ». J'y suis allé, l'éditeur était très sympa, il cherchait des jeunes auteurs français parce qu'il n'avait que des auteurs américains dans son catalogue. Il m'a dit qu'il avait lu mes pièces et qu'il aimait bien ce que je faisais. Il s'est lancé et m'a donné une avance pour écrire un roman policier. Je n'étais pas du tout excité parce que j'avais lu de tout mais jamais aucun roman policier à part ceux de Simenon. Inconscient, je me lance et en un mois et demi, j'écris un roman intitulé « Cadavres en soldes ». C'était l'histoire de deux soeurs qui vivaient à Orléans, très dévotes, qui mènent des enquêtes.

* il sort le roman de son bureau et me le montre. C'est un vieux livre de poche écorné dont la couverture montre deux femmes arborant des chapeaux ornés de ruban rose.*

J-P F : Donc, je lui apporte le manuscrit, il le lit et me dit « Je ne m'attendais pas du tout à ça ». Persuadé qu'il s'agissait de mon premier et dernier roman, je lui ai répondu que c'était ça ou rien. Le problème venait que c'était un roman humoristique et que je n'étais pas du tout connu. Avec la couverture, le livre tranchait franchement avec les autres qui ne représentaient que des types avec des flingues. En quinze jours, on en a vendu vingt mille exemplaires.

P : Ah, oui, quand même.

J-P F : On en a retiré aussitôt vingt mille, puis dix mille. On en a vendu cinquante mille en tout. Je n'ai jamais aussi bien vendu depuis, jamais. Rires. L'éditeur était sur le derrière, il s'attendait à tout sauf à ça. La maison d'édition a reçu beaucoup de courrier des lecteurs demandant la suite des aventures des deux soeurs. Mon éditeur m'a dit que c'était un succès complètement incroyable et inattendu. Il m'a demandé d'en écrire vite un second. C'est à ce moment là que j'ai dit à Bardot que je quittais son service pour écrire des romans policiers. Donc j'ai écrit un second roman policier qui avait une très bonne intrigue, avec toujours les deux vieilles filles que les gens aimaient beaucoup à l'époque et on l'a vendu aussitôt au cinéma. J'approchais un peu de mon rêve. Deux, trois, quatre, cinq, six, sept romans avec les mêmes personnages qui m'ont poursuivi. Encore aujourd'hui on me dit « ah c'est vous les soeurs Bodin ! » ça me poursuit comme une malédiction. Rires. Les sept romans on été réédités en un seul gros volume. Ensuite, j'ai demandé à mon éditeur de me laisser écrire des romans un peu plus noirs, romanesques avec plus de suspens. Donc en tout, j'ai publié une vingtaine de romans à la Chouette. Le dernier roman s'intitulait « Les veuves ». Je l'ai vendu au cinéma et j'ai eu pour interprète...

P : Danielle Darieux.

J-P F : Alors là, c'était le paradis. La collection de la chouette s'étant arrêtée, je suis passé au Fleuve noir. Mon premier roman pour cette maison d'édition a été vendu au cinéma et Michelle Morgan a interprété le rôle principal. À cette époque, j'avais compris que je ne pouvais rien faire dans le cinéma parce que je n'avais pas de diplôme. Je me suis donc résigné à écrire des romans : j'avais pris goût à la chose. En trois mois j'avais vendu deux romans pour le cinéma, je pensais que cela allait continuer. Il a fallu attendre dix ans avant de revendre un roman au cinéma. J'ai écrit une trentaine de bouquins au Fleuve Noir après je suis passé chez J'ai lu qui a réédité certains de mes romans parus au Fleuve Noir. Les éditions J'ai lu, qui ont été fondées par mon premier éditeur, je retombais en terrain connu. Il m'a ensuite demandé des romans inédits avant de partir diriger Le Livre de Poche. Comme le nouveau directeur de J'ai lu ne m'appréciait pas, même s'il ne me connaissait pas, j'ai suivi mon premier éditeur au Livre de Poche. Il m'a édité six romans dont le second « Une femme sans histoire » a été vendu à la télé. Il a donné lieu à un téléfilm vraiment formidable. Les gens de chez Hachette ne comprenaient pas qu'on me réédite. On m'a donc prévenu que lorsque mon éditeur partirait, je ferais partie de ses bagages. Moi, toujours détendu, jai répondu « on verra bien ». Quand mon éditeur a quitté le Livre de Poche, j'ai suivi, mais tout cela a été fait d'une façon très élégante. On m'a rendu les droits de mes livres, ce qui m'a bien arrangé. Ensuite, je suis passé de maison en maison, j'ai fait pas mal de radio aussi. J'ai fait aussi pas mal de télé, j'ai écrit pas mal d'épisodes de la série Intrigues. Puis finalement, on m'a recommandé Noir Délire qui fait surtout des rééditions.

P : Vous écrivez toujours ?

J-P F : Oui, mais je préfère écrire pour le théâtre, ce qui ne marche pas. Ecrire pour la télé est devenu un enfer. C'était plus facile il y a quinze ans.

P : Pourquoi ?

J-P F : Maintenant, quand vous présentez un projet, tout est reformaté : il ne faut pas ci, il ne faut pas ça, la fin ça va pas, le début non plus d'ailleurs.

P : Il y a un gros cahier des charges ?

J-P F : Voilà, oui. Il y a un énorme cahier des charges et moi, je ne travaille pas comme ça. On m'a demandé plusieurs fois de travailler pour une série. On m'avait aussi demandé de travailler pour Commissaire Moulin, mais moi je ne veux pas rentrer dans un atelier d'écriture, c'est un cauchemar. Je ne veux pas travailler avec trois ou quatre types qui vont me recorriger. Je veux travailler seul ou pas du tout.

P : Maintenant, on va parler un peu plus de votre approche du roman noir. En lisant vos romans (j'en ai lu quatre), j'ai pu constater que vos personnages sont souvent poussés à agir par le désir de paraître en société.

J-P F : Oui d'ailleurs Le dernier sursaut est assez emblématique de tout ce que j'ai fait. Cela parle souvent de quelqu'un qui pense que sa vie est lamentable et qui, à un moment donné, selon les circonstances du hasard, est amené à changer complètement de vie mais c'est souvent pour le pire. C'est ce qui arrivé à Marie-Meurtre. C'est souvent l'histoire d'une femme qui met les pieds dans une enquête policière et qui en meurt. C'est souvent ça. Ce sont souvent des femmes ou une comédienne qui n'arrive pas à percer.

P : Le cinéma, toujours...

J-P F : Oui, toujours. Brusquement, cette comédienne a la chance de sa vie mais elle le paie très cher. J'aime beaucoup cette espèce de dernière chance qu'on donne à quelqu'un qui n'en a pas eu.

P : Dans vos livres, la mise en scène a une grande importance, vous faites souvent référence au cinéma.

J-P F : Tout à fait. Ce que je dis, c'est que je suis un cinéaste raté. Mes romans sont les films que je n'ai pas tournés. Je ne l'ai pas regretté finalement. Comme je le disais, j'étais très timide et très sauvage, j'aurais peut-être pas pu me livrer assez pour faire des films. Au fond, ça m'arrangeait de m'isoler pour écrire mes livres et que personne ne vienne m'emmerder. C'est ce que je voulais. Je ne le savais pas quand j'ai écrit le premier, mais petit à petit c'est venu et c'est bien comme ça.

P : Et vous n'avez jamais eu envie d'écrire autre chose que du roman noir ?

J-P F : Non, parce que j'estime que dans certains de mes romans, la police n'intervient pas vraiment comme c'est le cas dans Marie-Meurtre, Un diable sur mesure ou Le dernier sursaut. Dans mes livres, il y a toujours un crime ou deux ou trois ou quatre.

P : Et que signifie la ville de Châtignes pour vous ? Vous en parlez souvent dans vos romans.

J-P F : Châtignes est en fait pour moi l'équivalent de ma ville natale qui est Châteaudun, qui est une ville de province où je me suis emmerdé ; il pleuvait tout le temps. Châtignes est un modèle réduit de Châteaudun. Cette ville revient tout le temps, dans tous mes romans. Il y a toujours un personnage qui y habite.

P : Vous aimez également reprendre certains éléments entre vos romans. Par exemple, le titre de la pièce Le dernier sursaut, qui met Rosemonde Talbot dans tous ses états et votre roman intitulé Le denier sursaut.

J-P F : Oui, tout à fait. Il y a des noms qui reviennent, ce sont des tics d'écriture.

P : Vous aimez beaucoup les Brunel, il me semble.

J-P F : Le nom de Brunel m'a porté chance alors il y a toujours un Brunel quelque part, et un Vignault aussi. Dans chacun de mes romans, il y a aussi toujours un personnage drôle parce que la vie, cest ça aussi.

P : Je voulais revenir sur une chose dont vous avez parlé tout à l'heure. Pourquoi tout le temps des personnages féminins ?

J-P F : Pour moi, une femme qui ment, c'est déjà un roman. Un homme qui ment, non ; parce qu'il ment mal, parce qu'il ment bêtement. Pour moi, une femme qui ment, c'est une ouverture formidable.

P : Comment trouvez-vous vos idées de romans ?

J-P F : Pour moi, un roman commence toujours par une image. Je vois une femme, une fenêtre et c'est parti. Je pars sur une image, jamais sur un fait divers, ça ne m'intéresse absolument pas.

P : Vous faites partie des auteurs qui travaillent beaucoup avant d'écrire ?

J-P F : Non. Pour Marie-Meurtre, j'aimais le titre et c'est parti comme ça. Sinon, je pars sur une image, j'ai une canevas de quatre cinq pages et je me lance. Je dévie rarement. Cependant, par moment, les personnages prennent le pouvoir, j'entends les répliques au fur et à mesure que j'écris. Quelques fois, ça prend une tournure un peu bizarre, j'en suis même étonné. Ça m'est arrivé plusieurs fois, pas dans tous les romans. Pour les meilleurs, ça s'est passé comme ça.

P : C'est de l'inspiration, non ?

J-P F : Oui, ça m'est arrivé plusieurs fois. C'est grisant, c'est extraordinaire, très amusant. Quand les personnages me soufflent leurs propres répliques, ils ont forcément raison.

P : Vous avez envie de faire quelque chose de nouveau maintenant ?

J-P F : Ecoutez, j'ai un tiroir plein d'histoires à écrire, en dix ou vingt pages. Est-ce que je vais avoir le courage de me lancer ? Je ne sais pas. Je suis en train d'écrire des trucs pour la télé qui ne se tourneront jamais, je suis lucide. Je suis aussi sur un film qui ne se tourne pas. Tous les six mois, je donne une option à un producteur qui est un peu escroc...

P : Sinon, ce ne serait pas un producteur !

J-P F : Oui, tout cela est très amusant. Mais c'était plus facile il y a vingt ans. À cette période, j'étais plus connu. J'ai d'autres titres qui vont sortir parce que j'ai pu récupérer mes droits. J'avais signé avec un éditeur qui était un peu truand sur les bords.

P : Pour finir, nous allons un peu élargir le sujet.

J-P F : Elargissons.

P : Vous en tant que lecteur, qu'aimez-vous trouver dans un livre ?

J-P F : En tant que lecteur, les romans policiers, c'est pas trop ma tasse de thé, mis à part Patricia Highsmith, que j'adore. Mon roman d'elle préféré s'intitule « L'homme qui racontait des histoires » parce que je pense que cela me correspond tout à fait.

P : Pourquoi ? Vous ne vous considérez pas comme un écrivain ?

J-P F : Je ne me prends pas pour un écrivain parce que je trouve que c'est pompeux, prétentieux. C'est une question très complexe en fait. Et puis l'expression « l'homme qui racontait des histoires », je trouve ça très beau. J'ai de l'humour, bon. J'ai un style, bon. Mais un écrivain ? Je trouve ça très Goncourt, très académique.

P : Mais pourtant, vous avez écrit plus de soixante-dix-sept romans, vous avez une vraie plume, vous avez tout d'un écrivain ! Revenons au sujet, qu'est-ce que vous aimez trouver dans un livre ?

J-P F : Dans un livre, ce qui me plait, c'est surtout un climat ou une atmosphère particulière. Je trouve surtout que Marcel Aimé est un écrivain extraordinaire. J'adore Stendhal, Cocteau, Sartre. Mais je suis surtout un fou de cinéma. Je collectionne les vieux DVD en noir et blanc. J'ai tous les films de Danielle Darieux. Rires. Je considère que la plus grande réussite de ma vie est d'être devenu un des meilleurs amis de la comédienne que j'admirais quand j'avais sept ans.

P : Maintenant, que peut-on vous souhaiter pour l'avenir ?

J-P F : De faire un nouveau téléfilm avec Danielle Darieux.

P : D'accord, on va le faire ! Merci d'avoir répondu à nos questions.