Gallego Garcia, Laura
Baern : Premièrement, pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas, pourriez-vous vous présenter en deux, trois mots et expliquer ce qui vous a amené à l'écriture ?
Laura Gallego Garcia : Je m'appelle Laura Gallego Garcia et j'écris de la littérature fantastique. Depuis mon enfance, je lis énormément et plus particulièrement des romans de ce genre. Ainsi, très rapidement, j'ai commencé à inventer mes propres histoires, presque toutes de fantasy. J'ai commencé à être publiée à l'âge de 21 ans alors que mon douzième roman à gagné le Prix Barco de Vapor. Et depuis, je n'ai cessé d'être publiée.
Actuellement, j'ai près de trente oeuvres éditées parmi lesquelles deux trilogies de littérature fantastique: Chroniques de la tour et Mémoires d'Idhùn.
B : Un premier roman à 11 ans avec une amie (disponible sur votre site, en espagnol), des études dans le domaine des lettres, un prix avec Finis Mundi dès 1999, voilà bon nombre d'éléments pour vous orienter dans une carrière d'écrivain, un choix apprécié et salué par tous vos lecteurs. Avez-vous jamais rêvé à travailler dans un autre domaine ?
LGG : J'ai décidé que je voulais devenir écrivain à l'âge de treize ans et je n'ai pas changé d'avis depuis. Les adultes de mon entourage m'avaient clairement laissé entendre que devenir écrivain et arriver à en vivre était très difficile. De telle sorte que j'ai toujours pensé qu'il fallait combiner le travail d'écrivain avec un autre métier comme le font beaucoup d'écrivains ne pouvant vivre de leur plume.
Durant quelques années, j'ai pensé étudier le journalisme mais j'ai ensuite décidé de suivre des cours de philologie (linguistique) espagnole pour devenir professeur de littérature de français. Mais je n'ai pas eu besoin d'embrasser cette carrière puisque mes livres ont très vite eu du succès, j'ai donc pu consacrer exclusivement à mon travail d'écrivain.
B : Plongeons-nous dès à présent dans les Chroniques de la Tour. Dans les Chroniques de la Tour, j'ai noté que les émotions et les divers sentiments (amour, doutes, joies, peurs,...) des personnages étaient mis en avant. Ceux-ci restent, me semble-t-il, le plus souvent positifs ou optimistes, au contraire de la plupart des publications de fantasy où l'amour et d'autres "bons" sentiments passent au second plan pour être remplacés des émotions plus masculines (au sens donné par Hofstede) : la fierté, l'orgueil, la haine, l'honneur, etc. A la fin de la trilogie, jai eu limpression de voir dans l'épilogue, une grande famille. Je présume que ce sont des valeurs qui vous tiennent à coeur, d'où peuvent-elles venir ? Votre personnalité est-elle naturellement joyeuse et extravertie ou bien était-ce pour sortir des rails du genre et en finir avec les poncifs du genre, parfois désuets et ennuyeux ? Votre éducation ? Le fait que vous soyez une auteur change-t-il beaucoup de choses dans votre manière d'appréhender le problème ?
LGG : Je ne sais pas, je ne me suis jamais posé la question. Simplement, je mets au point une histoire, une trame avec des personnages ; les sentiments et les valeurs que vous évoquez naissent de ces personnages et de leurs interactions. Traditionnellement, la fantasy n'est pas un genre enclin à exprimer des sentiments ce qui, en tant que lectrice, m'a toujours manqué, particulièrement concernant des personnages jeunes ou adolescents qui traversent une étape vitale de leur vie dans laquelle l'amour ou l'amitié deviendront des valeurs fondamentales.
J'ai du mal à imaginer un personnage adolescent qui se laisserai uniquement porter par la fierté ou l'honneur. J'essaie tant que bien que mal de leurs donner de l'humanité (bien qu'il s'agisse d'elfes, de mages, de fantômes.). Et je crois que cela leur confère une dimension davantage réaliste et surtout plus proche du lecteur. Je ne sais pas si cela à avoir avec ma condition de femme, je ne crois pas que les hommes soient étrangers à ces sentiments, cela serait trop simpliste, non ?
B : Du quel de vos personnages dans la Tour vous sentez-vous le plus proche ? Pourquoi ?
LGG : Dans cette histoire, concrètement, il y en a deux: Dana et Kai. Toute la trilogie se fonde sur le désir de leur créer une histoire. C'est pourquoi j'ai une tendresse toute particulière pour eux et j'ai focalisé l'histoire sur leur relation.
B : La relation entre Dana et Kai est originale, et son intensité, d'autant plus. Pourriez-vous lever un coin du voile du mystère de votre inspiration pour ce lien ?
LGG : Quand j'étais petite, j'avais un ami imaginaire semblable à Kai. C'est probablement le point de départ de l'histoire mais cependant à mesure que je développais la trame des Chroniques, les personnages ont pris vie et ce sont éloignés de mon histoire personnelle. C'est-à-dire que, bien que la première pièce du puzzle fasse référence à un souvenir d'enfance, finalement l'histoire de Dana et Kai est réellement leur histoire et non la mienne.
B : L'univers des Chroniques de la Tour est à la fois simple mais potentiellement très riche, prenant et magique (dans les deux sens du terme). Hormis Fenris l'elfe à paraître début 2009 en français, y a-t-il d'autres "suppléments" prévus pour l'univers ? En détaillant la vie et les aventures d'autres personnages, Nawin, Salamandre (qui, par son caractère, me fait penser à ma petite sur), le Maître avant son arrivée à la Tour, ou le futur de Lys, par exemple ?
LGG : Non, pour moi l'histoire des Chroniques de la tour est définitivement finie. Il y a deux ans, une édition spéciale des Chroniques contenant des bonus et des histoires inédites est sortie en Espagne, ce qui a marqué la fin de l'aventure. Je ne sais pas si Baam! va décider de publier cette édition, j'espère que oui (Nous réfléchissons actuellement sur la manière dont nous pouvons utiliser cette version inédite NDLE)
B : Je dévore vos romans, mais après trois heures de joies et d'intense plaisir littéraire, il me faut déjà renfermer et ranger le bouquin... Une question me taraude à ce sujet, combien de temps vous faut-il pour écrire un tel ouvrage ? Comment se structure votre travail ?
LGG : Cela dépend de la complexité de l'histoire mais normalement, j'ai l'habitude de mettre entre trois et six mois pour écrire un roman. Naturellement, avant de commencer la rédaction de n'importe quel ouvrage, j'y ai pensé des mois, voire des années, durant. Je dis souvent que mon travail se divise en trois phases :
- développer l'histoire : depuis ma première idée jusqu'à ce que j'ai mûri suffisamment l'histoire pour savoir que j'ai une trame complète, que je connais les personnages, que j'en connaît le début et la fin ainsi que son déroulement. Bien entendu, cette phase ne se fait pas en un jour, cela requiert beaucoup de temps de réflexion. C'est ainsi qu'au moment même où je travaille une histoire, je peux en avoir d'autres en tête mais à des degrés divers de développement. Lorsque tout est clair dans mon esprit, je fais un plan du livre : trames, sous-trames, personnages, chapitres et tout ce que je pense être important. C'est un plan flexible que je peux modifier au fur et à mesure.
- écriture de l'histoire : quand j'écris, je n'ai pas vraiment d'horaires, mais cela se passe souvent la nuit ou pendant les après-midi. J'y passe des heures et des heures, de la même manière que quand j'aime un livre, je ne m'arrête pas.
- révision / correction : une fois le livre terminé, je le laisse de côté durant une ou deux semaines et ensuite j'y reviens pour le corriger et intégrer les commentaires de mon éditeur. C'est la partie la plus lourde mais elle est importante. De plus, comme je suis très perfectionniste, je tiens à y apporter de multiples corrections.
B : Nous en arrivons à la dernière partie... Vous êtes la première auteur espagnole dont je lis un récit de fantasy, tout comme j'ai bien peu de livres d'auteurs français appartenant ou tournant autour de ce genre dans ma bibliothèque. Pourtant, les latins tiennent tout aussi bien une plume que les anglo-saxons, avez-vous une explication ou une piste à ce propos?
LGG : Je crois que c'est une question de culture et de tradition, même si j'ai toujours pensé que la littérature fantastique est plus présente en France qu'en Espagne. L'Espagne, c'est le pays du réalisme et du picaresque, notre grand roman c'est bien évidemment Don Quichotte, une grande parodie des romans de chevalerie, qui étaient les romans fantastiques de l'époque. Depuis, la critique a toujours valorisé le réalisme au détriment du fantastique qui est considéré comme un genre léger, moins sérieux voire même enfantin... Ce qui suppose qu'on rabaisse encore plus les genres fantastique et fantasy, puisqu'en Espagne, la littérature jeunesse a toujours été considérée comme un genre mineur. Je pense que c'est, en partie, parce qu'ici nous n'avons pas de classiques tels Peter Pan ou encore Alice au pays des merveilles.
B : Mes parents étant enseignants, j'ai déjà eu quelques discussions avec des professeurs de français à propos des lectures obligatoires ou conseillées durant leurs cours. Curieusement, certains anciens semblent plus ouverts à des nouveautés ou à des genres différents dans leurs listes que les plus jeunes professeurs (classiques de la littérature française ou francophone contre quelques Harry Potter ou Stephen King). Les livres que vous écrivez feraient merveilles dans ces lectures imposées et leur but premier, faire lire des jeunes élèves et leur faire AIMER lire, serait enfin atteint. Une opinion à partager sur ce point?
LGG : En Espagne, mes livres sont beaucoup lus dans les écoles, surtout Finis Mundi (pas de traduction française disponible à ce jour, NDLE) et La vallée des loups. Alors que certains les trouvent assez intéressants pour être étudiés en cours, d'autres privilégient les classiques et d'ailleurs cela dépend des programmes. Je pense que lorsqu'ils sont plus jeunes, il est plus pertinent d'étudier des titres modernes alors que les élèves plus âgés préparant le bac, notamment, se doivent d'étudier les classiques. Mais, je crois surtout qu'il ne faut jamais obliger les élèves qui n'ont pas l'habitude de lire à lire un classique parce qu'ils n'y sont pas préparés. S'ils font partis d'un programme, d'accord, mais c'est aussi très bien de découvrir le plaisir de la lecture avec des livres plus modernes.
Par contre, je n'ai pas remarqué de divergences entre les professeurs de générations différentes, et s'il y en a une, ce serait qu'en Espagne les jeunes professeurs sont plus enclins à proposer de la littérature moderne mais certains enseignants résistent et persistent à proposer des classiques moins faciles d'accès.
B : En plus des Chroniques de la Tour, deux autres de vos romans ont été traduits et publiés en français (La légende du roi errant et Le collectionneur d'horloges extraordinaires), d'autres traductions sont-elles prévues?
LGG : Oui, l'année prochaine la trilogie Mémoires d'Idhùn sort aux éditions Bayard. Par ailleurs, les éditions Baam! publient le prequel des Chroniques de la tour, L'Elfe Fenris ainsi que mon roman Dos velas para el diablo (titre en cours de traduction, NDLE).
B : Avez-vous des projets ? Une adaptation sur grand écran des Chroniques de la Tour, en film ou en version animée, est-elle envisageable?
LGG : Non, pour le moment je ne suis pas intéressée par une adaptation des Chroniques au cinéma.
B : Pour finir sur un ton plus léger... Un commentaire sur le Grand-Prix de Formule 1 qui vient de se dérouler sur les quais de Valence (la ville où vous habitez) ?
LGG : Je ne peux pas en dire grand chose sinon que je ne m'intéresse pas beaucoup à la Formule 1 et que je ne la suis pas.
B : En parcourant votre site, j'ai pu lire que Savage Garden était l'un de vos groupes favoris, pour moi, il s'agit dune des musiques de mes premières sorties... Leurs chansons ont-elles été d'une quelconque inspiration pour les trois tomes des Chroniques de la Tour ? ;-) Je peux vous affirmer que Mecano convient parfaitement à leur lecture !
LGG : Non, la vérité c'est que c'est plutôt certaines ballades du groupe Roxette qui me font penser à l'univers des Chroniques et qui mont inspirés.
Par contre, il y a une chanson de Savage Garden, To the Moon back, qui effectivement me rappelle un des personnages de Mémoires d'Idhùn.
B : Un grand merci pour avoir répondu à cette interview et pour partager avec nous, lecteurs, vos magiques histoires !