Cette revue est sous le signe du rapport : celui à l'autre, mais aussi à soi, avec le corps, ses avatars et ses métamorphoses, voire ses métaphores quand on explore celui des villes.
Dans la drôle et plaisante à lire Cherche criminel de génie, Matthew Hugues met en scène une ville où tous les hommes se retrouvent, d'une minute à l'autre, laids, bêtes et pauvres. On peut certes en déduire que quelqu'un leur en veut, mais il faudra un enquêteur de génie pour découvrir ce quelqu'un.
Un poisson qui tue un homme n'est pas toujours une tragédie, de Marc-André Charron est l'une de celles où s'explore le rapport à l'autre, avec une variation sur le thème du K, de Buzzati : au Japon, Hayato a beaucoup transmuté en travail sa colère contre le monde qui l'a privé de Tsukiyo, jusqu'à la vieillesse, et la pêche.
L'idée qui sous-tend Eternelle jeunesse, d'Isabelle Piette est très intéressante, puisqu'il s'agit de proposer un lien entre les souvenirs et les marques corporelles, traces de vécu. Il est dommage que le format très court ne permette pas une exploitation véritable de ce point de départ.
Dans Nourrir les monstres, de Michel Lamontagne, on trouve un monde où les hommes étaient devenus incapables de dormir. Mais si les monstres leur ont rendu le sommeil, ce n'est pas gratuit. Dans ce cas aussi, la séduisante idée aurait demandé davantage d'approfondissements.
Dans l'originale nouvelle Singulier Pluriel, de Lucas Moreno, la transformation des corps est centrale, et a valeur de symptome pour le héros : malgré tous les avis et les mises en garde, Vic ne peut pas croire que ses nouveaux voisins lui veuillent du mal. Et il a peut-être raison. Ou tort. Ou les deux.
Dans Deux soeurs Plan fictif Lima Pérou, de Hugues Morin, il existe plus d'un plan de réalité, et une personne unique sur un plan peut être double sur un autre, à condition d'avoir du sang Inca dans les veines. Cette nouvelle touffue et originale donne envie d'en lire d'autres de cet auteur.
Enfin, Elisabeth Vonarburg clôt en musique et en beauté la partie "Nouvelles" de la revue, avec La Voix qui chantait le coeur du monde : Anton n'est certes pas un récupérateur comme les autres, et s'il a emmené Sandra en expédition, ce n'est pas seulement pour ses beaux yeux, mais pour lui faire jouer un rôle dangereux. Pour les lecteurs assidus de l'auteur franco-québécoise, il s'agit d'une nouvelle appartenant au monde de Baïblanca, où l'on assiste, possiblement dans un temps antérieur et/ou parallèle, à l'origine de la taverne où se déroule Dans la fosse, nouvelle déjà publiée notamment dans La maison au bord de la mer, et où l'on voit apparaître l'un des personnages de la nouvelle éponyme de ce recueil.
Rien à voir avec la fantasy, de Thibaut Sallé est un article court mais passionnant à lire et lourdement documenté, s'il joue la provocation, au moins dans son titre, puisque l'auteur y rappelle que l'inspiration médiévale qui sous-tend une grande partie de la Fantasy fait appel à une représentation fantasmée du Moyen-Age, dont la réalité fut, notamment, beaucoup plus variée.
Comme toujours, Mario Tessier livre un article très original, Les ruines du Futur, où il rappelle la fascination à peu près constante pour les ruines en général, en prenant des exemples dans la littérature, et en nous amenant à nous interroger sur celles que nous laisserons. L'article est complété par l'interview d'un explorateur urbain.
Que l'on soit en accord ou pas avec les critiques de la revue, la partie des Littéranautes est toujours passionnante à lire, avec ses points de vue très argumentés, bien tranchés mais toujours respectueux. C'est aussi une occasion de découverte : à retenir ici, Penser avec la Science Fiction, de Fredric Jameson, qui semble tout à fait intéressant pour les amateurs du genre.
Et pour ceux à qui ces 160 pages n'auraient pas suffi, il y en a encore à l'adresse www.revue-solaris.com !