Le premier rebondissement vint lors de ma présentation d'ALTER. Guillaume et moi n'étions pas du tout d'accord sur un point et je refusais de céder. Estéban, qui assistait au débat, trouva une solution contentant tout le monde et il fut décidé que nous co-scénariserions ALTER et LINKED.
Ensuite, pour la petite histoire, LINKED fut terminé, c'est-à-dire dessiné et lettré, il y a maintenant plus d'un an mais, pour des raisons que je ne suis pas certain de saisir, son impression en Chine fut particulièrement longue.
Une fois les axes narratifs et le découpage terminés, nous nous répartissons les dites parties.
Lors de l'écriture, nous nous allouons pas mal de liberté. Sur LINKED, comme sur ALTER, chacun était maître de son chapitre, même si, pour des soucis de cohérence, nous nous les envoyions évidemment à relire pour des retouches éventuelles.
Le plus dur étant de faire en sorte que chacun des personnages garde « sa voix » tout au long du récit, même lorsqu'ils « changent de mains ».
Cela dit, travailler à deux c'est aussi apprendre à accepter un travail rendu différemment de ce que l'on aurait réalisé soi même. Si l'on ne peut pas apprécier un résultat différent de celui que l'on avait en tête, alors autant travailler seul et écrire toute les scènes ou prendre un nègre.
Il faut différencier ses goûts strictement personnels et affectifs des besoins de l'histoire et des personnages.
Typiquement, un fan peut regretter la disparition de son personnage préféré, par exemple, mais s'il s'agit dune évolution logique du récit, que l'histoire le demandait car, au vu de ses actions passées, c'était inéluctable, alors l'auteur aura eu raison. Quand bien même il pouvait lui aussi avoir un faible pour ce personnage.
Même si nous n'avons que deux publications à notre actif pour le moment, nous avons déjà eu l'occasion de travailler avec plusieurs artistes différents et tous ont pour point commun de faire un meilleur travail lorsqu'ils sont libres de prendre en charge la partie graphique de la narration.
Jouer les directeurs d'acteurs despotiques ne fonctionne pas. C'est un peu « chacun son domaine d'expertise » et il faut savoir mettre de côté ses relents d'artistes contrariés [rires]. Si l'on n'est pas content, on prend le crayon et on dessine soi-même.
Ensuite, nous avons eu beaucoup de chance avec Maria. D'une part son dessin collait parfaitement et, d'autre part, elle nous a très vite expliqué son seul impératif. Il s'agissait d'une certaine présentation du script.
Recevoir ses pages était toujours un petit moment de satisfaction personnelle, se disant « wow, on a écrit ça, nous ? ». Et c'était tant mieux car, techniquement, demander à un dessinateur de refaire sa planche est une perte de temps inouïe.
Ensuite, mon parcours est des plus simples, j'ai validé un Bac ES et entamé une licence de socio à l'université. Puis, ayant eu besoin de manger, payer mon loyer etc., j'ai trouvé du boulot et écris en parallèle. Comme beaucoup de scénaristes, j'imagine, le nombre d'années depuis lesquelles j'écris n'a rien avoir avec le nombre d'années depuis lesquelles je suis publié.
Car, après tout, la véritable difficulté, c'est de convaincre un éditeur. Écrire représente la partie facile.
J'ai donc eu la chance de ne pas passer par la traditionnelle pile des « en attente » et d'avoir été, en quelque sorte, « drafté » tout de suite.
Pour LINKED, le côté huis clos, violent, sexy et pathologique de certains personnages à dû les convaincre j'imagine. Pour ALTER, c'était le côté Blade Runner/Matrix je ne suis pas convaincu qu'ils y aient vu/compris quoi que ce soit d'autre ou que cela les intéresse de toute façon.
Je dirais que la meilleure chance de convaincre un éditeur est d'abord d'avoir un bon dessinateur. C'est triste mais juger un synopsis est tellement subjectif, pour ne pas dire aléatoire, qu'un bon dessinateur se révèle être un excellent accélérateur.
Ensuite il faut convaincre que le projet est assez original pour être nouveau mais aussi assez commun pour que l'éditeur sache comment le vendre dès la première lecture. Pour nos projets futurs, la bataille est plus ardue.
Je lisais pas mal de mangas il y a quelques années, mais j'ai de plus en plus de mal à trouver des titres qui me passionnent. Je dirais bien que ma consommation de Bd asiatiques était liée à mon adolescence mais, la vérité est certainement que je ne cherche pas assez bien en librairie.
Côté Bd européennes, j'ai mes favoris, mais je suis plus sélectif. Même si les artistes et les scénaristes sont aussi doués qu'ailleurs dans le monde, le rythme de parution et des dialogues me rebutent souvent. Mais c'est je pense dû à mon attrait pour les comics, puisqu'ils profitent d'une parution mensuelle et de la langue anglaise, beaucoup plus adaptée à l'écriture de dialogue Bd je pense...
Côté romans, je dois avouer avoir beaucoup de mal à les finir. J'ai une relation amour/haine avec la littérature que je ne m'explique pas bien. J'aime les commencer, les finir, mais je suis généralement pris d'un ennui sans nom à l'approche des 100 premières pages. Aussi bien des oeuvres comme Le Seigneur des Anneaux que L'Ecume des jours représentent des heures de souffrance pour moi. Du coup, je lis plutôt des essais, des manuels ou le Science & vie du moment.
J'ai notamment beaucoup d'admiration pour certains paroliers et leur habilité à transmettre une variété d'émotions, de notions ou de réveiller plusieurs souvenirs avec un nombre minimum de mots. La mélodie aide, évidemment, mais comprendre les paroles d'une chanson peut changer de tout au tout ce que j'en retire.Il ne m'est pas rare de me demander comment instiller au lecteur une sensation équivalente à celle ressentie à l'écoute de telle ou telle chanson.
Par contre, je ne crois pas m'être consciemment dit « tiens, je devrais faire une histoire sur ce thème » en écoutant une musique.
Pour les jeux vidéo, bien que joueur régulier, je ne les ai jamais considéré comme une source d'inspiration. Je pense que si javais été graphiste ou dessinateur, je réviserais certainement mon jugement, mais en terme de narration, je n'ai pas le réflexe ou la motivation de me tourner vers le jeu vidéo comme source d'inspiration. Là-dessus, les artifices du jeu vidéo sont essentiellement visuels et ne me sont donc pas forcément utiles a priori.
Même si j'avoue être un grand fan de Mass Effect et Mass Effect 2 et m'être plusieurs fois émerveillé devant la qualité des dialogues et l'intelligence avec laquelle ils ont su développer et remettre en question leurs thèmes et leurs personnages.
Estéban et moi-même sommes le genre de scénaristes qui aiment planifier la fin de l'histoire dès le départ, parfois avant même le début, c'est donc une information vitale pour nous.
Pour ALTER par exemple, avant que les Humanos ne décident d'arrêter la série, le nombre de chapitres fut plusieurs fois révisé et, avec Estéban, plusieurs sessions de brainstorming furent souvent nécessaires pour se sortir des casses têtes que cela entraîna.
Bref, nous faisons des notes d'intention en espérant se situer pile poile sur la frontière entre le déjà vu/convenu/ça vend et le novateur/original/on est burné.
Encore une fois, nous avons eu une position privilégiée pour ALTER et LINKED. Désormais, nous sommes en pleine phase de pitch avec Estéban. C'est-à-dire que nous présentons notes d'intentions sur notes d'intentions en espérant qu'un de nos projets sera sélectionné. On croise un max de doigt en espérant tomber sur le jour où tous les directeurs de collections sont bien lunés, à l'aise dans leurs chaussures et sexuellement satisfaits par leurs conjoints. Bref, les conditions idéales.