Les Chroniques de l'Imaginaire

Alera (La légende de la lune sanglante - 1) - Kluver, Cayla

Comme toutes les jeunes filles, Alera rêve d'un mariage d'amour. Hélas, une princesse a rarement le choix en la matière : l'homme qu'elle épousera deviendra roi d'Hytanica et se doit donc de posséder un bon lignage et des qualités de dirigeant. A défaut de présenter à son père un autre prétendant acceptable avant son prochain anniversaire, Alera devra épouser Steldor : élevé pour régner, le bel officier a également une grande prestance et fait entrer en pamoison toutes les demoiselles de la cour ; sauf Alera, malheureusement, qui abhorre sa suffisance démesurée.

Le destin a cependant décidé de s'en mêler et place sur la route de l'adolescente un autre beau jeune homme qui éveille immédiatement son intérêt. Intelligent et habile combattant, Narian présente cependant un défaut rédhibitoire : il a été élevé comme un barbare cokyrien !

La situation entre Hytanica et Cokyri est très particulière : seize ans plus tôt, les Cokyriens ont interrompu brutalement la guerre qu'ils étaient en passe de gagner et ont regagné leur royaume sans explication, emmenant avec eux une cinquantaine de nouveaux-nés hytanicans qu'ils ont tous massacrés sauf un. Depuis, les Cokyriens n'ont plus jamais fait parler d'eux, mais voilà qu'ils semblent se réveiller...

Ce roman est placé sous le signe de l'opposition : opposition entre Hytanica et Cokyri, entre Steldor et Narian, entre le devoir et l'amour.
Les deux royaumes ont des cultures diamétralement opposées. Hyanica est un royaume paisible mais résolument misogyne : Les femmes se doivent de s'effacer derrière leur époux, chargé de les protéger et de prendre toutes les décisions d'importance ; on s'attend à ce qu'elles soient superficielles et complaisantes, il serait impensable d'en voir une manier une arme ou même monter à cheval ! A l'inverse, Cokyri est un royaume guerrier aux moeurs brutales, mais dirigé par ses femmes, qui tiennent la dragée haute aux hommes tout en étant aussi dangereuses qu'eux.
Steldor et Narian sont à l'image des pays où ils ont été élevés. Steldor est un jeune homme raffiné et sûr de sa supériorité : il prend l'opposition que lui voue la princesse Alera comme un jeu et s'amuse à la faire plier. A l'inverse, Narian apprécie énormément Alera, il la respecte et l'encourage à s'émanciper, lui donnant des leçons secrètes et lui ouvrant les yeux. Comme il est en plus nimbé d'une aura de danger et de mystère, quoi d'étonnant qu'il attire inéluctablement la princesse ? Et ce, bien qu'elle ne sache pas si elle peut lui faire confiance...
Alera, fille de roi, a cependant un grand sens des responsabilités. Elle sait qu'elle se doit à son royaume, bien que cela la déchire intérieurement. Elle devra choisir entre le coeur et la raison (d'état), choix particulièrement difficile à l'âge des émois amoureux et qui sert de fil rouge à l'histoire.

Les personnages sont particulièrement bien campés. Alera semble de prime abord particulièrement passive et résignée : il suffit de voir le temps qu'elle passe à attendre dans sa chambre que les événements avancent, sans chercher aucunement à s'en mêler, même quand ils la concernent au plus haut chef ! Elle a beaucoup de mal à dépasser son éducation, mais petit à petit elle prend cependant conscience de son potentiel et devient plus décidée et réfléchie, évolution que l'on espère voir se poursuivre dans les tomes suivants. Steldor, malgré ses défauts, semble moins négatif que ne le voit Alera et pourrait réserver quelques surprises. Narian reste le plus complexe et imprévisible, son passé mystérieux restant à découvrir.
Les personnages secondaires sont également intéressants, que ce soit l'espiègle jeune soeur d'Alera ou ses gardes du corps, l'attachant London en tête.

Réflexion et rebondissements sont donc au menu, le tout introduit avec une grande finesse et une bonne pointe d'humour. Le rythme est parfois un peu lent, nous frustrant parfois en nous donnant l'impression de ne pas en apprendre assez, mais les pages défilent toutes seules. Une belle introduction pour cette trilogie dont j'attends impatiemment la suite, vu la situation à la fin de ce premier tome. Coup de chapeau pour Cayla Kluver, toute jeune auteure qui signe ici son premier roman !