Les Chroniques de l'Imaginaire

Le Maître et Marguerite - Boulgakov, Mikhaïl

Woland s'amuse beaucoup avec Berlioz et Bezdomny aux étangs du Patriarche : apprendre qu'à Moscou plus personne ne croit en Dieu le met positivement en joie. Découvrir qu'il en est de même à propos du Diable, toutefois, lui inspire d'autres idées. C'est ainsi que, à cause du temps qu'il a passé à raconter l'histoire de Ponce Pilate, et de l'huile de tournesol d'Annouchka, les projets de Berlioz pour la soirée seront fatalement changés.
Quant à Ivan Bezdomny, qui prétendait faire arrêter Woland et ses complices (parmi lesquels un énorme chat noir qui tient à payer sa place dans le tramway, rien que ça !), il va se retrouver dans une clinique psychiatrique. C'est là qu'il aura la visite de son voisin de chambre, qui demande à être simplement appelé "le Maître", et prétend se trouver ici après avoir écrit, et brûlé, un roman sur Ponce Pilate.

Non seulement ce roman est un chef-d'oeuvre, bien que Boulgakov n'ait pas eu le temps de le réviser complètement avant sa mort en 1940, mais il est de surcroît fort drôle. Encore faut-il dire qu'un lecteur français, même cultivé, n'aura sans doute pas accès à toutes les références spécifiquement russes (légendes, plats ou boissons etc), voire soviétiques, qui l'émaillent. Cela n'empêche pas de l'apprécier, toutefois, et les notes, fort bien faites, sont d'une grande aide à cet égard.

Ce roman a la particularité d'être à la fois "continental", au sens où le mythe de Faust apparaît dans quasi toutes les cultures occidentales, et très russe, par une certaine façon d'entelacer les éléments et le fantastique, comme une familiarité du petit peuple russe - et même soviétique, au grand dam de ses dirigeants de l'époque ! - avec le surnaturel (le montre notamment la scène où la fatale Annouchka voit sans affolement des visiteurs disparaître par la fenêtre). Cela le rend très dépaysant, d'autant que le lecteur n'aura guère d'explication sur les raisons de la venue de Woland à Moscou à ce moment-là, ni, bien sûr, sur les raisons de ses actes.
De plus, les personnages sont ambivalents : écrivain visionnaire, le Maître est un lâche larmoyant, Marguerite est une sorcière très douée, si elle est d'une fidélité canine au Maître, Satan fait le bien... aussi, etc. Bien sûr, les différentes administrations soviétiques sont brocardées joyeusement, si discrètement, même si la plus redoutable n'y apparaît guère que par allusions.

A ce propos, on lira avec profit non seulement la préface et les notes, mais surtout la chronologie, qui met en regard la vie de l'auteur, l'histoire politique de son pays, et l'écriture du roman lui-même. La notice en détaille l'écriture et les différentes versions publiées. Cet appareil critique, abondamment documenté et fascinant, apporte un plus considérable au lecteur curieux.

C'est vraiment une excellente initiative que la réédition de ce roman magistral dans une édition de poche, qui ne peut que lui attirer de nouveaux lecteurs.