Les Chroniques de l'Imaginaire

Le jeu de l'ombre - Sire Cédric

Malko Swann est un musicien de talent, adulé pour son œuvre, célèbre pour ses frasques et son tempérament séducteur. Il vient de terminer un concert exceptionnel, au terme duquel des milliers de personnes l’ont acclamé. Et pourtant… et pourtant Malko roule, fonce même, le sang bourré d’alcool, le nez de cocaïne, vers le Pont du Diable. Pourquoi ? Et pourquoi si vite ? Il l’ignore lui-même. La musique envahit l’habitacle, le pont se rapproche, Malko est seul, et à cet instant, c’est tout ce qui compte. La chute était inévitable, et elle est vertigineuse…

Malko rouvre les yeux dans un lit d’hôpital. Il a une côte cassée, le visage couvert d’éraflures. Les séquelles physiques sont minimes comparées à la gravité de l’accident, mais il se rend vite compte qu’il souffre d’un traumatisme bien plus dramatique : il ne peut plus entendre la moindre note de musique.

Pendant ce temps, dans le département voisin, le commandant Alexandre Vauvert enquête sur une toute autre affaire. On a retrouvé dans un cours d'eau le cadavre d’une jeune fille, la poitrine lacérée de coups de couteau, le visage tuméfié par les coups. Elle porte autour du poignet un bracelet de plastique rouge, indiquant qu’elle se trouvait au concert de Malko Swann le soir de son accident. Y aurait-il un lien entre ce meurtre et la descente aux enfers du musicien ?

Troisième enquête du commandant Vauvert, Le jeu de l’ombre semble se situer chronologiquement entre L’enfant des cimetières et De fièvre et de sang : Vauvert a toujours en esprit les horreurs vécues lors de sa première confrontation avec le surnaturel, mais il ne connaît pas encore Eva Svärta. Une chose est sûre, il va devoir une fois encore mobiliser son intuition et son ouverture d’esprit pour venir à bout – ou pas – de l’affaire qui le préoccupe ici.

Parce que le moins qu’on puisse dire, c’est que l’affaire en question est plus que perturbante, pour les personnages comme pour le lecteur. La découverte d’un nouveau roman de Sire Cédric promet toujours de bons gros moments de frousse, et Le jeu de l’ombre ne déroge pas à la règle, même s’il diffère de ses prédécesseurs.

D’abord, le fantastique s’y fait discret pendant une bonne partie du livre, plus subtil en tout cas que dans les romans précédents. Sire Cédric, cette fois plus que jamais, semble bien décidé à jouer avec les nerfs de ses lecteurs qu’il chahute et égare d’un bout à l’autre du livre. Possession, hallucination, manipulation, folie ? Rien de tout ça ou tout à la fois ? Impossible de deviner avant le dénouement de quel mal souffre Malko Swann. Sans conteste, on est bien ici dans un jeu – un drôle de jeu, sans autres règles ni tabous que de faire frémir le lecteur et souffrir les personnages. J’ai découvert avec surprise cette facette de l’auteur : ses précédents romans créaient certes de l’attente, du suspense, de la terreur, mais c’est la première fois que je suis à ce point abasourdie et bouleversée par le tour que prend l’intrigue. Le comble est que tout ça est construit avec une vraie habilité, sans raccourcis abruptes ni ficelles grossières.

Au cœur de cette intrigue diabolique, un personnage surprenant qui oscille entre ombre et lumière, et auquel il est facile de s’identifier, malgré – ou à cause de ? – ses failles. Autour de lui, de nombreux personnages secondaires comme autant de pièces formant un puzzle complexe, et détournant sans cesse l'attention du lecteur vers de nouveaux coupables potentiels.

Excellente intrigue donc, servie par une écriture plus blanche que jamais. Dans Le jeu de l’ombre, les phrases sont courtes, le style percutant, et Sire Cédric réserve le lyrisme qu’il manie à la perfection à la description des sensations que procure la musique et à celle des jeux de lumière (l’aube, le crépuscule, la lueur de la lune, le soleil qui filtre à travers les persiennes…). Un choix judicieux, qui met d’autant plus en valeur la noirceur de l’ombre, cette fameuse ombre dont on cherche pendant toute la lecture à deviner l’identité.

Un sans faute donc. La preuve, une fois encore, que Sire Cédric un est véritable magicien ; pas sûre que sa magie soit blanche, mais elle n’en est que plus efficace. Un auteur à découvrir absolument, qui comblera tous les amateurs de bonnes histoires et de vrai frisson.