La guerre entre le Faianland et la Fédération dure depuis si longtemps que personne n'en connaît plus les raisons. Une guerre lointaine mais omniprésente, violente et vicieuse (bombardements, utilisation de gaz perturbant les sens, etc.), dont l'ombre plane sur la vie de chacun. D'autant que les gouvernements n'hésitent pas à user de désinformation envers le public.
Entre le continent septentrional - où vivent les civils des deux camps - et le continent austral - où font rage les combats - s'étend une zone neutre : l'Archipel du Rêve, un bouquet compact d'îles qui couvre la ligne équatoriale. Un lieu à part, où vivent des indigènes aux coutumes insolites et des exilés fuyant le conflit.
Ce recueil se compose de huit nouvelles, dont le point commun est d'avoir pour cadre le monde de l'Archipel du Rêve, que ce soient les îles elles-mêmes ou leur espace aérien, ou encore le continent Nord. Cinq des nouvelles datent des années 1980, les autres ont été écrites plus récemment.
Ces textes relèvent de la science-fiction mais aussi du fantastique, avec des événements étranges et non expliqués. Ceci n'est cependant qu'une toile de fond pour des récits mêlant psychologie, désirs, érotisme, illusions... L'auteur aborde de front de nombreux sujets : prostitution, homosexualité, voyeurisme... Ses récits sont des voyages intérieurs qui transforment les personnages, souvent des solitaires un peu paumés dans leur vie (le soldat qui se voit révéler la critique de la guerre dissimulée dans son livre fétiche, le professeur qui revient sur les lieux de son enfance, etc.).
Au sommaire :
L'instant équatorial : un prologue qui nous plonge dans le Vortex au-dessus de l'archipel, un lieu hors du temps qui assure également à la planète un temps universel.
La négation : l'âme de poète d'un jeune soldat assigné à une mission inutile libérée par une écrivaine de passage.
Les putains : un soldat convalescent aux sens défaillants victime de jeunes femmes contraintes à la prostitution par la guerre.
Vestiges : une femme après la mort de celui qu'elle admirait et aimait.
La cavité miraculeuse : des souvenirs interdits qui ressurgissent à l'occasion du règlement d'un héritage.
La crémation : un participant à des funérailles entraîné malgré lui dans un jeu de séduction mortel.
Le regard : la fascination d'un homme qui espionne les mystérieux réfugiés installés près de chez lui.
La libération : un soldat amnésique qui redonne un sens à sa vie par la peinture.
Les amateurs du roman du même auteur La fontaine pétrifiante (en anglais : The affirmation) apprécieront la réutilisation qui en est faite dans La négation : on y voit l'auteure d'un roman nommé L'affirmation l'analyser et en écrire un contrepoint.
Pour ma part, j'ai particulièrement aimé La cavité miraculeuse, qui surprend le lecteur en cours de route et le pousse à revenir sur les pages déjà lues en se demandant comment il a pu passer à côté de l'évidence...
Les écrits de Christopher Priest sont déroutants : les situations sont parfois obscures, la fin des nouvelles laisse souvent perplexe, avec un sentiment d'inachevé. Réel, imaginaire, on ne sait jamais trop où on se situe ! L'auteur n'explique rien, laisse des zones d'ombre : charge au lecteur de faire travailler son imagination. Exercice parfois difficile, qui peut rebuter certains lecteurs imperméables aux charmes de l'ellipse.
Pour les autres, n'hésitez pas à savourer ces récits oniriques et surprenants, ils valent largement le détour.