Les Chroniques de l'Imaginaire

Le jour la nuit - Lee, Tanith

Malgré l'amour qu'elle lui porte secrètement, Vel Thaidis Yune Hirz a refusé d'épouser Ceedres Yune Thar et de lui offrir ainsi les ressources nécessaires pour sauver son domaine mourant. Elle a ainsi scellé son destin, car le diabolique aristocrate l'a entraînée dans un piège imparable : lui mettant en main un couteau, il s'est empalé sur la lame et a crié au meurtre. Entre croire le prince charmeur et populaire ou la princesse froide et solitaire, leurs pairs n'ont pas hésité longtemps. Velday lui-même, hypnotisé par son ami de toujours Ceedres, a rejeté sa soeur aînée avec dégoût. Vel Thaïdis a tout perdu au profit de son ennemi et a été condamnée à vivre de son labeur parmi les pauvres de la Taudispolis.

Telle est la situation en Yunéa, la face Solaire de cette planète qui ne tourne pas sur elle-même, exposant l'une de ses faces au soleil éternel et l'autre à la nuit perpétuelle. Telle est l'histoire née de l'imagination de la princesse Vitra Klovez, fabulaste qui divertit le bas-peuple du Klave, la face Nocturne. Du moins le croit-elle, puisque tout le monde sait que l'autre côté du monde est un désert brûlant et inhabitable. Mais l'idée est intéressante, comme l'en convainc son frère Vyen quand la technologie de leur résidence meurt brutalement. Attirant chez elle Casrus Klarn, Vitra se poignarde elle-même et appelle à l'aide. Le beau prince, paria parmi les siens, est bien vite dépouillé de ses biens et exilé dans l'enfer glacial du Subtérieur, où s'échine la masse populaire...

Un hasard bien étrange, quand même, qui fait se répéter ainsi des deux côtés de la planète une situation similaire. Certes, Yunéa et le Klave ont des environnements très différents, mais ils sont bâtis sur une structure sociale identique : la scission entre les parasites aristocratiques, qui vivent de manière très protégée dans des palais, et le bas-peuple laborieux qui les hait, s'échinant pour survivre dans un habitat misérable. Des deux côtés, une civilisation injuste et décadente, dépendant d'une technologie que personne ne comprend et qui disparait peu à peu, inéluctablement.
Alors, ce hasard, est-ce vraiment un hasard ? D'autant qu'outre les noms très similaires des personnages et leurs âges identiques, ils arborent également des physionomies quasi-semblables, si l'on ne tient pas compte de la peau dorée des Yunééens opposée au teint clair des Klavistes...

J'ai beau avoir lu ce roman à plusieurs reprises, je me laisse prendre dans l'histoire à chaque fois !
Le monde aux multiples facettes imaginé par Tanith Lee est très riche, avec plein d'idées pour lui donner une vraie consistance : la lumineuse Yunéa est protégée par un dôme qui lui assure une atmosphère artificielle, tandis que le Klave est enfoui dans les ténébreux sous-sols gelés ; les territoires de chasse de la face diurne, ou encore la surface glaciale et sans atmosphère du côté nocturne, sont des lieux que l'on imagine aisément tant leur description fourmille de détails. On ne peine guère non plus à imaginer les aristocrates oisifs, ni le peuple opprimé et au bord de la rébellion...

Les personnages sont très attachants, bien que l'on ait parfois envie de distribuer quelques gifles (surtout à Vel Thaïdis et à son alter égo Vintra, d'ailleurs). Ceedres est machiavélique, Casrus est le héros au grand coeur, Vel Thaïdis la victime mi-résignée mi-combattive et Vintra la jeune fille naïve dépassée par les événements... Certes, on aimerait parfois les voir sortir de leur rôle, de même que les personnages secondaires, mais l'histoire s'articule bien de cette façon.
Les questions de base (qui tire les ficelles et pourquoi ?) s'effacent tout du long au profit des hauts et des bas vécus par les personnages, tout en recevant cependant des réponses finales satisfaisantes.

Alors, même si cet excellent roman a pris un petit coup de vieux, ne l'écartez pas pour autant de vos listes de lectures !