Bouchard, Nicolas
Marquise : Bonjour ! Pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs des Chroniques de l'Imaginaire ?
Nicolas Bouchard : Bonjour ! Je mappelle Nicolas Bouchard, jai quarante huit ans. Jhabite la région de Limoges et je travaille dans le secteur bancaire. Je suis marié et jai quatre enfants.
M : Comment s'est déroulé votre parcours d'écrivain ? Quand avez-vous commencé à écrire ?
NB : Jai dabord écrit des nouvelles entre dix sept et vingt deux ans. Des histoires un peu fantastico-gothiques en général assez sombres, mais rien de cette époque na jamais été publié. Ensuite, je nai plus rien fait jusquen 1996 : à cette époque jai eu lirrésistible envie de décrire un monde, ses coutumes, son économie, de raconter la vie de ses habitants. Pour cela, il ma semblé intéressant dutiliser une intrigue policière. Cest mon premier roman, Terminus Fomalhaut. Envoyé à une dizaine déditeurs, il a été publié chez Encrage en 1998.
M : On sent dans votre roman une vraie passion pour l'Histoire, avec une minutie du détail impressionnante. Quelle(s) période(s) préférez-vous ?
NB : Jai abordé plusieurs époques jusque là : la France des années 1900, Rome 300 ans avant JC, le Maroc du 17ème siècle, lAlgérie des années 1800-1830 et le 18ème siècle.
Je ne peux pas dire que jai des périodes préférées. Le coup de foudre pour un lieu, une époque vient parfois de manière inattendue : une lecture, un détail glané dans un livre dhistoire, une visite
Dune manière générale, plus on approfondit sa connaissance, plus lattachement se crée.
M : Comment travaillez-vous ? Comment faites-vous vos recherches ?
NB : En général, je lis dabord des ouvrages ou des articles généraux sur la période, histoire de bien la situer. Ensuite, jessaye de trouver des monographies plus précises sur tel ou tel point. Et enfin, ce que je préfère, essayer de retrouver le « document dépoque » : un témoignage, des mémoires dun protagoniste, un compte rendu, un livre dhistoire (contemporain ou presque de laction)
et éventuellement des journaux si la période sy prête. Pour ce roman, je me suis servi par exemple de témoignages sur les Massacres de Lyon, de descriptions dépoque de la « Basse Geôle », des extraits du Moniteur universel pour les séances à la Convention
M : Vous passez donc beaucoup de temps dans les bibliothèques ? Internet vous aide-t-il également ?
NB : Outre la très belle bibliothèque municipale dont je dispose sur Limoges et une autre, associative, dont je suis bibliothécaire, Internet est un formidable outil de recherche bibliographique. Il maide à trouver les références douvrages que je cherche, à les localiser et à les faire venir (par exemple par le prêt interbibliothèques). Par ailleurs, beaucoup de documents anciens ont été numérisés par des sites comme Gallica et sont facilement accessibles.
M : Parlons maintenant du Traité des supplices. En décrivant les différentes tortures, qu'avez-vous ressenti ?
NB : En fait pas grand-chose de plus que pour nimporte quelle scène de suspens. Pour ce genre de chapitre, je travaille comme un metteur en scène. Laction est codifiée par les descriptifs que jai pu trouver des supplices en questions, après, toute la question est de déterminer quel point de vue adopter, quelles expressions utiliser
de manière à :
- Donner une nouvelle vision des personnages (soumis à un choc ou à un stress extrême),
- Effrayer le lecteur,
- Faire évoluer laction,
- Esthétiser le supplice en question,
- Ne pas sombrer dans le mauvais goût ni dans le grand-guignol !
M : Si cela peut vous rassurer vous avez pleinement réussi : le lecteur est effrayé, mais le tout reste très esthétique ! Vous êtes-vous auto-censuré ? Interdit certains détails ? Vous a-t-on censuré ?
NB : Ni lun ni lautre. Pour ce roman, je me suis en quelque sorte « laissé aller ». Je mattendais à des remarques de léditeur sur une excessive cruauté de mes descriptions
qui ne sont pas venues ! Elles sont donc restées telles quelles.
M : Toutes les tortures décrites ont-elles réellement été pratiquées ? (notamment, celle du bourdon de la cloche, vraiment horrible !)
NB : Ca dépend lesquelles : la plupart oui. Le pal était utilisé par exemple par les turcs ou dans les Balkans, les vestales de lancienne Rome étaient enterrées vives (voir mon roman : Tarpeia, les venins de Rome). Quant à la cloche, je nen ai pas la moindre idée. Cela paraît un peu sophistiqué pour avoir été utilisé en pratique
Il est évoqué par Octave Mirebeau dans son Jardin des supplices (mais je nai découvert ce passage quaprès avoir écrit le roman). Il est aussi plus ou moins montré dans un film français des années 60 : La Fabuleuse aventure de Marco Polo réalisé par Denys de la Patellière (mais de manière beaucoup moins horrifique). Jai un peu limpression davoir fait comme Sax Rohmer qui dans sa série Fu Manchu inventait les supplices les plus tordus et les plus impraticables !
M : Comment vous est venue l'idée de ce roman ? Un fait divers ? Une histoire vraie ?
NB : En fait non, lidée est venue petit à petit. Javais envie de décrire un tueur qui soit une sorte de maniaque collectionneur et qui rédige en quelque sorte un mémoire sur ses meurtres. Doù dailleurs, mon travail sur le style pour créer un authentique faux traité du 18ème siècle.
Après dautres idées sont venues par la lecture de livres dhistoire (par exemple pour les compagnons de Jéhu, la Basse Geôle ou la description de la maison de la force). Jai un jour trouvé par hasard chez un bouquiniste : Les enterrés vivants du Docteur Peron-Autret qui ma beaucoup inspiré. Un ami amateur dantiquités égyptiennes ma présenté Le livre des morts. Je peux ainsi multiplier les éléments qui se sont agglomérés pour constituer le roman tel que vous lavez découvert.
M : En général, entre la toute première idée et le roman final, combien de temps se passe-t-il ? Combien de temps met votre roman à mûrir ?
NB : La durée de conception dun roman peut varier : en général, le « murissement », période où les premières idées se développent, prennent de la cohérence et où dautres idées viennent sagglomérer au projet initial, sétend sur un an ou plus. Pour lécriture elle-même, je compte en général six mois.
M : Vous écrivez également des romans de science-fiction. Pouvez-vous nous en dire plus ?
NB : Jai toujours écrit de la Science Fiction : mes premiers romans étaient de la Science Fiction. Dabord parce que jétais un très gros lecteur étant jeune de cette littérature. Ensuite, parce que pour mes premiers livres, la SF était le meilleur moyen pour dire ce que javais à dire.
M : L'Histoire et la Science-fiction sont deux passions très différentes. Comment conciliez-vous les deux ?
NB : « Qui contrôle le présent, contrôle le passé. Qui contrôle le passé, contrôle lavenir. » (Orwell 1984). Dans mon esprit, passé et avenir forment une même chaîne temporelle avec énormément dinteractions. Ce ne sont pas à proprement parler des passions différentes : beaucoup de mes romans de science fiction comportent des aspects historiques (ex : Colonies parallèles, qui se passe en partie à Sumer) ou mythologiques (ex : Lempire de poussière où je revisite les mythes scandinaves).
M : Laquelle est la plus facile à traiter ? La SF qui permet toutes les libertés, ou l'Histoire déjà "écrite" ?
NB : Sans aucune hésitation, lhistoire est plus facile. Jai commencé à écrire de la SF et cette fameuse liberté est très difficile à gérer. Il faut penser à tout lorsquon imagine une civilisation futuriste, extraterrestre ou uchronique. Il faut passer en revue la technologie, certes, mais aussi la religion, lenseignement, le langage, les loisirs, léconomie, le droit
Pour lhistoire, le processus est différent : il faut chercher, grapiller un peu partout, combler les vides par notre imagination. Vous noterez cependant que mes SF me réclament aussi un gros travail de recherches.
M : Dans quel univers vous plaisez-vous le plus ?
NB : Il est essentiel pour moi de changer régulièrement dunivers. De lhistorique à la SF, en passant par la Fantasy. Pour moi, cest indispensable. Je bannis la routine de mon travail décriture.
M : Vous même, que lisez-vous ? Avez-vous des auteurs et/ou romans préférés ?
NB : Je lis très peu à part de la documentation : question de temps. Jétais un gros lecteur autrefois : les classiques de la Science Fiction (Russel, Hamilton, Asimov, Jack Vance, Silverberg, Heinlein
), et bien sûr Orwell (jai toujours lu 1984 comme un roman de Science Fiction).
Le roman gothique comme Le moine de Lewis, Lovecraft et Robert Howard pour le fantastique. Abraham Meritt et Tolkien pour la fantasy.
Pour lhistorique, un souvenir ému du Juge Ti (que lon nappelait pas encore Dee) de Van Gulick et de Néropolis de Montheillet.
Aujourdhui, je lis donc très peu : des auteurs de SF français que jaime bien comme Laurent Gennefort, Irène Frain et sa Forêt des 29, des polars comme Andréa Japp ou Nadine Monfils et quelques ouvrages ésotériques (précision : je suis un incorrigible sceptique quant à lésotérisme mais je mintéresse à sa dimension symbolique ainsi quà la psychologie de ceux qui y croient).
M : Vous arrive-t-il d'avoir plusieurs romans en cours d'écriture ou vous consacrez vous à un seul à la fois ?
NB : Jécris rarement deux romans à la fois. Mais souvent, en cours décriture, il marrive de songer à un projet que je suis en train de murir et de commencer à rassembler la documentation. Egalement de relire un roman déjà terminé par exemple lorsque léditeur me le redonne pour quelques modifications.
M : Quels sont vos projets d'écriture ?
NB : Jai actuellement en chantier un polar jeunesse pour la collection dirigée par Jacques Baudou chez Mango (à paraître début 2012). Sinon, je viens de terminer un thriller contemporain (mon premier) et jai proposé divers projets à mon éditeur Belfond (dont la suite du Traité des supplices).