Hector Lassiter est un auteur de romans policiers qui commence à se faire une réputation dans le milieu littéraire. On dit qu'il est "l'homme qui vit ce qu'il écrit et qui écrit ce qu'il vit". En 1935, il habite une petite maison sur Key West, et son plus proche ami n'est autre qu'Ernest Hemingway, qui vit également sur l'île. Alors qu'un ouragan approche et que toute l'île se prépare à affronter la tempête, Lassiter fait la connaissance de Rachel Hunter, une jeune touriste avec qui il se voit bien passer le temps pendant que chacun est contraint de rester calfeutré chez soi. Au même moment, l'île est confrontée à un autre drame : une femme a été atrocement assassinée, son corps évidé et rempli d'objets mécaniques, à l'image d'un tableau de Magritte s'intitulant L'Âge des Merveilles. Un meurtre de même nature avait été commis peu de temps auparavant à Miami. Après quelques jours de passion folle entre Hector et Rachel, la jeune fille est retrouvée assassinée, décapitée. Pour tous, il ne fait aucun doute qu'un tueur en série d'inspiration surréaliste sévit dans la région.
Rhapsodie en noir ne constitue pas un roman policier dans le sens strict du terme, où le lecteur suit une enquête menant à la résolution de l'affaire. Le héros du roman est un auteur de roman policiers mais il n'est pas détective. Sans le vouloir, en tombant amoureux de Rachel, il a mis le doigt dans un engrenage sanglant, car durant vingt ans des crimes similaires seront perpétrés autour de lui. Ses émotions seront mises à rude épreuve, le souvenir de Rachel se rappelant à lui en permanence de par des éléments troublants, semant le doute dans son esprit quant à ce qu'il a vécu avec cette femme.
Quant au contexte historique, politique et culturelle de l'époque, je tire mon chapeau à Craig McDonald. Ami d'Hemingway, Lassiter le suit dans sa vie familiale et artistique, ce qui permet à l'auteur de tirer un portrait fidèle de cet écrivain tourmenté. Hector le rejoint notamment dans la guerre d'Espagne, dans laquelle il s'était engagé auprès des républicains contre Franco, tente de l'ôter des griffes de Martha alors qu'il est marié avec Pauline. A mesure que Lassiter devient un auteur connu et demandé, il se lie d'amitié avec Orson Welles et sa femme Rita Hayworth. Welles est mêlé à l'histoire des meurtres surréalistes alors qu'il est en train de tourner La dame de Shanghaï, et toutes les difficultés rencontrées par le cinéaste sont véridiques. Dans l'ensemble le roman est extrêmement bien documenté. Il est très intéressant de connaitre ainsi comment le surréalisme est né, quels étaient les engagements des artistes, qui en étaient les figures emblématiques. L'auteur ne semble avoir pris aucune liberté excepté pour la photographie d'un homme prise par Man Ray, intitulée Le Minotaure, alors que dans le roman il s'agit d'une photogaphie de femme, pour les besoins de l'intrigue. De plus on rentre dans l'intimité de personnalités mythiques, on est plongé au coeur des conflits en Espagne, du maccarthysme, de l'antagonisme entre Cuba et les Etats-Unis... Le contexte occupe une place très importante et vient intelligemment étoffer et nourrir l'intrigue.
Ce très bon roman noir servi par la plume mordante d'un talentueux Craig McDonald a le double mérite d'être très instructif et de faire passer un bon moment au lecteur. Même si les amateurs de polars comprendront vite ce que l'auteur essaye de nous dissimuler, c'est suffisamment bien amené et palpitant pour qu'on se laisse emporter par l'histoire.