Les Chroniques de l'Imaginaire

La mille et deuxième nuit - Gautier, Théophile

A l'occasion du bicentenaire de la naissance de Théophile Gautier, Claude Aziza nous propose l'intégrale des trente-deux nouvelles de cet auteur complet. Comme beaucoup, je ne connaissais de Théophile Gautier que les poésies que l'on apprend à l'école (et que je me suis empressée d'oublier), et l'un de ces romans les plus connus Le capitaine Fracasse que j'ai probablement lu étant petite.
Lire ces nouvelles a été une révélation ! Théophile Gautier est un écrivain, un vrai ! Les nouvelles sont proposées dans l'ordre chronologique de leur écriture, et on voit sensiblement évoluer et s'affermir le style de l'auteur.
C'est une écriture très littéraire, mais très agréable à lire, très dix-neuvième siècle. Ce sont de longues phrases, claires, parfaitement compréhensibles, parfaitement construites. Les longues descriptions ne sont pas du tout ennuyeuses bien au contraire ! C'est une vraie poésie à chaque fois.
on apprend dans la préface que Gautier hésitait entre l'écriture et la peinture. Cela se sent dans ses nouvelles car la peinture y joue un rôle important. On sent aussi l'oeil du peintre qui sait décrire, expliquer ce qu'il voit.
Les nouvelles abordent tous les thèmes, tous les genres (ou presque !) : historique, fantastique, drame, comédie, conte, merveilleux, réaliste...

Voici quelques synopsis des nouvelles les plus belles :
* Cléopatre s'ennuie, et veut se faire aimer, tant pis pour celui qui s'y risquera.
* Le roi Candaule, lui, souffre d'un terrible sentiment : il a la femme la plus belle au monde, mais comme elle est également très pudique, personne d'autre que lui-même ne sait qu'elle est si belle.Donc, personne ne l'envie ! Il va tout faire pour y remédier.
* La nuit, une cafetière se transforme en jeune fille. Ou est-ce l'inverse ?
* Une femme magnifiquement brodée sur une antique tapisserie rejoint la nuit, dans son lit, l'heureux habitant de la chambre sur le mur de laquelle elle est accrochée.
* Une marquise possède un être qui fait tourner la tête de toute la bonne société et qui fait bien des envieuses : un petit chien !
* Une momie égyptienne veut récupérer son pied qui sert de presse-papier à un écrivain.
* Un berger rencontre son destin, et l'amour, en rêvassant en gardant ses moutons.
* En Chine, une jeune fille et un jeune homme dont les pères se haïssent après avoir été amis, tombent amoureux à la vue de leurs reflets respectifs dans l'eau.
* En Espagne, un jeune homme a du mal à faire admettre à sa fiancée sa passion pour la tauromachie.
* A Pompéi, avant le drame, quelques siècles après le drame...
* "Avatar" : un médecin étrange parvient à faire l'échange de deux âmes.
etc...etc...

"La mille et deuxième nuit", la nouvelle qui donne judicieusement son titre au recueil, nous permet de retrouver Shéhérazade qui, au bout de 1001 nuit, n'a plus d'histoire à conter à son sultan, et craint pour sa vie. Elle vient visiter un écrivain qui lui dicte une 1002ème histoire.
La fin de cette nouvelle est surprenante d'humour noir.

"Les roués innocents" est presque un roman : on se régale des turpitudes et des méchancetés des femmes qui se battent pour un homme, dans la bonne société du XIXe siècle. Gautier n'épargne pas ses personnages et dépeint les sentiments humains avec férocité et bonheur.
Chaque nouvelle est un petit bijou habilement ciselé. De nouvelle en nouvelle, le lecteur baigne dans une atmosphère féérique, enchanteresse qu'il a du mal à quitter.
Gautier soigne particulièrement les fins de ses nouvelles, avec humour, raison ou parfois nostalgie.
Comme par exemple, l'histoire des deux amoureux chinois qui se termine magnifiquement par cette phrase "En furent-ils plus heureux, c'est ce que nous n'oserions pas affirmer ; car le bonheur n'est souvent qu'une ombre dans l'eau."

Au fil des années, les nouvelles s’allongent et deviennent de véritables petits romans, très bien construits, dont les personnages ne sont pas simplement esquissés, mais au contraire, dépeints avec minutie, et dont les caractères sont finement analysés.

Les histoires se suivent mais ne se ressemblent pas. On continue un tour du monde bien agréable, avec les croyances populaires napolitaines qui vont conduire le héros à l’irrémédiable, Paris et ses marquises et vicomtes qui s’ennuient dans leur bulle dorée et vont s’encanailler en se mélangeant à la roture ; l’Espagne, ses toreros brûlant d’amour et ses beautés brunes, et même l’au-delà avec un esprit amoureux d’un homme bien vivant.

Je compare souvent le plaisir de la lecture des romans de Jane Austen à la dégustation d’une délicieuse meringue ; la lecture des nouvelles de Théophile Gautier va bien au delà ! C’est comme la dégustation d’un assortiment complet de petits gâteaux les plus fins et les plus goûteux que l’on puisse imaginer !

Devant un recueil aussi épais, j’avais le projet de lire une ou deux nouvelles, puis lire un roman contemporain, puis reprendre quelques nouvelles, pour ne pas me lasser. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. J’ai été prise dans un tourbillon de sensations si agréables que j’ai enchainé les 32 nouvelles sans reprendre mon souffle. Et je suis fort marrie d’avoir déjà terminé ce recueil...

Je conseille vivement cette dégustation à tous les amateurs de belle écriture, de phrases ayant un véritable sens, de mots tombés en désuétude mais si savoureux (superlicocantieux par exemple), de dialogues exquis, suaves et mordants à la fois.

Un vrai coup de coeur !