Haksbill, mathématicien génial, a fini par mettre au point le voyage temporel. Ou plutôt le voyage dans le passé, car le billet est à sens unique, sans moyen de revenir à son époque d'origine... La syndicature, la constitution "temporaire" des États-Unis qui a fini par s'imposer en régime dictatorial, y voit un moyen parfait pour se débarrasser des opposants politiques : les prisonniers ne sont pas exécutés, mais exilés dans le temps sans espoir de retour ! Pour s'assurer qu'ils ne vont pas changer l'histoire en influençant les événements, leur époque d'arrivée a été fixée un milliard d'années dans le passé : au cambrien [sic, l'auteur devait ignorer que le cambrien, c'était plutôt il y a cinq cent millions d'années...], l'homme n'existait pas encore, les seules formes de vie étant encore primitives et océaniques...
Avec les années, Haksbill Station a fini par s'organiser en une petite communauté d'une centaine de déportés, faite de bric et de broc à partir des envois plus ou moins aléatoires et utiles venus du futur. Jim Barrett, en sa qualité de plus ancien survivant, en est le chef incontesté, d'autant qu'il est encore relativement sain d'esprit, au contraire de nombre d'entre eux. Arrive un jour à la station Lew Hahn, un homme jeune et énigmatique, qui n'a pas du tout le profil d'un révolutionnaire. Qui-est il réellement ?
Ce court roman alterne deux trames différentes : l'histoire de Jim "ici" le voit faire de son mieux pour diriger une communauté désespérée, dont les membres sombrent peu à peu dans la folie ; l'histoire de Jim "là-bas" nous le montre avant sa déportation, d'abord jeune homme devenu révolutionnaire presque par hasard, puis leader d'une bande d'activistes sans envergure qui n'inquiètent guère la dictature. Le manque d'action pourrait lasser, mais comme le roman est très court, on le finit avant de s'en rendre compte.
Robert Silverberg n'exploite guère le voyage temporel en tant que tel, ni l'époque du cambrien en elle-même, si ce n'est comme artifices utiles pour son récit. Il développe plutôt des idées sur l'évolution de la ferveur révolutionnaire au fur et à mesure que les militants vieillissent et se désillusionnent - certains allant jusqu'à la trahison -, ou encore la survivance d'une société en milieu totalement fermé. Les Etats-Unis futurs tels qu'ils sont décrits rappellent bien évidemment l'Union Soviétique pendant la guerre froide.
Sans être le meilleur roman de l'auteur, c'est une lecture plutôt intéressante et agréable.