Nous sommes à Paris, en 1816, dans un amphithéâtre. Le cours porte sur de l'anatomie comparée, et le professeur qui parle finit par ôter le voile qui couvre le sujet d'études. Il s'agit d'un moule fait sur Saartjie Baartman, une femme d'Afrique du Sud, objet de toutes les théories scientifiques les plus folles. Saartjie dispose d'un fessier très proéminent, et de parties génitales développées. Pour les scientifiques de cette époque, celle qu'on appelle la vénus hottentote représente un chaînon entre les singes et les hommes, soi-disant preuves scientifiques à l'appui...
Et le livre est l'occasion de revenir sur la vie de Saartjie... Esclave d'une riche famille de blanc au début des années 1800, Saartjie a rapidement fait l'objet de toutes les transactions, étant donné la proéminence de son arrière-train. Les hommes se retournaient forcément tous à l'époque sur son passage, et il en est un qui l'amena à Londres, afin d'y exhiber la vénus hottentote. Bien sûr, de l'argent a été promis à Saartjie, qui y est allée avec confiance. Elle a bien vite changé d'avis...
Les spectacles devant les masses londoniennes étaient des plus insultants pour la jeune femme qui devait laisser ces messieurs, pour un shilling, s'assurer que l'arrière train en question était bien réel. Les rêves de chanteuse de la jeune hottentote se sont bien vite envolés, d'autant que les foules du début ont bien vite laissé la place à des salles vides et à des minables spectacles de rue. La justice londonienne finit par enquêter sur les conditions de vie de Saartjie, mais celle-ci accepte de signer tout ce qui lui est présenté par ses patrons.
Alors, rapidement, c'est le voyage vers Paris, où en plus des spectacles, c'est la prostitution forcée qui va faire foi... La dépouille de la jeune femme, ou plutôt son squelette, a fait l'objet d'un rapatriement vers l'Afrique du Sud en 2002 uniquement...
Vénus noire est un livre de Renaud Pennelle, un dessinateur parisien qui a joué d'ailleurs un rôle de figurant dans le film de Abdellatif Kechiche du même nom. Il faut quand même savoir que le scénario a évolué entre le film et ce livre, ce qui ne gâche rien dans la découverte des deux supports sur cette histoire bien évidemment inspirée de faits réels.
On suit Saartjie dans sa descente aux enfers, elle qui était pourtant vouée à passer une vie certes difficile, mais joyeuse. Sur le plan graphique, on se régale des traits expressifs de Pennelle : certaines expressions en disent long, sans avoir à se perdre dans d'interminables phylactères... Les couleurs sont parfaitement choisies, et sont la plupart du temps ocres, et froides, tout en pouvant devenir chaudes en fonction des endroits que l'on visite.
Cette bande dessinée est aussi et surtout l'occasion de se poser un tas de questions, notamment sur la façon dont les blancs, absolument sûrs de leur supériorité, ont pu traiter tel ou tel peuple. Un livre qui parle également de politique, avec l'intervention de Nelson Mandela en personne pour enfin précipiter le retour de Sarrtjie dans son pays, deux siècles après.
Une BD bougrement intelligente qu'on ne peut que prendre plaisir à découvrir et à redécouvrir.
