Là-bas, je pouvais tout tenter, tout expérimenter, et jai senti que cétait le moment, enfin, décrire. J'ai donc réfléchi longtemps, et je me suis sans doute laissé imprégner par une vision japonaise de la France et de Paris. Doù lidée dun récit plongé dans un Paris fantasmé, le Paris de la Belle Epoque, qui est en fait le Paris qui fascine les Japonais et qui leur fait régulièrement franchir tous ces kilomètres pour venir nous rendre visite (!) Et voilà !
Ce roman était mon va-tout. D'abord j'avais conscience que mon temps au Japon était limité, que j'allais rentrer en France, et que je naurais pas de seconde chance décrire un roman. Cest pour cela que jy ai mis beaucoup. Beaucoup didées, beaucoup de personnages. Et c'est ce qui donne aux Démons de Paris ce côté foisonnant... C'est aussi ce qui fait son charme (!) J'ai confié ma ramette (500 pages de manuscrit) à la poste japonaise, jusque sur le bureau de Gilles Dumay, chez Denoël. Et quelques mois plus tard, me voilà édité.
Par exemple, on trouve dans Les Démons de Paris une galerie de personnage dotés de pouvoirs extraordinaires, les fameux "implexes". Or, actuellement, on voit des super-héros partout : au cinéma, dans les séries télévisées, dans les romans. Je voulais me démarquer de ce courant en décrivant des personnages obligés de vivre au jour le jour avec de tels pouvoirs, naturellement, sans forcément quils les trouvent eux-mêmes très spectaculaires.
Joseph, le personnage principal des Démons de Paris, est un prêtre doué du pouvoir de parler avec les morts. Pouvoir quil ne cherche pas à exploiter, il nest pas un héros, mais quil utilise naturellement pour satisfaire sa curiosité. Parce que Joseph a lâme dun scientifique et quil cherche à bâtir une cosmologie des enfers. Il dresse des abaques, élabore une théorie de lau-delà sans vraiment se rendre compte que ce qui est vraiment extraordinaire cest son don de parler avec les morts
Linverse, en quelque sorte, du lecteur qui sintéressera davantage à cet étrange pouvoir.
Les démons de Paris, cest un peu un récit de super-héros dans la France de 1910, une Histoire dépoussiérée. Récemment, un ami a appelé cela de la Réalité Augmentée ; jaime bien cette expression. Mêler le vrai et le faux jusquà ce que le lecteur ne sache plus où se trouve la réalité historique. Jai été ravi, il y a quelques jours, quand une lectrice ma avoué être allé chercher la présidente Desnoyelles sur Wikipedia !
On était au Japon et, un week-end, on rentrait du mont Fuji. Coincés dans un bouchon interminable comme on nen trouve quau Japon, ma femme était au volant, et moi, je piochais dans ma pile de livres dHistoire que javais emmenée avec moi. "A force de lire tous ces livres, me dit ma femme, pourquoi tu nécrirais pas quelque chose ?" Jai commencé à écrire Les démons de Paris le lendemain. Elle avait senti que lidée me titillait depuis longtemps. Et, en parallèle, je minterrogeais sur la nécessité de lire tous ces livres dHistoire que (lâge aidant) je commençais à oublier. Joubliais les noms, les dates. Alors à quoi bon ? Et toutes ces idées se sont collisionnées dans cette voiture au retour du mont Fuji.
Et si je racontais des aventures plus ou moins rocambolesques, plus ou moins imaginaires, mais de personnages historiques réels ? Une réalité augmentée. Et voilà : cette idée donnait enfin une motivation réelle à mon intérêt pour lHistoire. Cest ce que jai donc fait avec la Belle Epoque pour Les démons de Paris. Avec Lénine, par exemple, qui était alors en exil à Paris et qui me permettait dadresser un petit clin dil à ce thème de la Révolution Russe qui ma toujours passionné. Et cest aussi ce que jai recherché pour mes Jours étranges de Nostradamus, mon deuxième roman (Denoël). Pour Nostradamus, bien sûr, le personnage central du livre. Mais aussi, simplement, pour le plaisir de macheter une pile de livres sur le XVIème siècle et de me plonger dans les mondes de Catherine de Médicis ou dAmbroise Paré.
Jadopte souvent en écrivant une démarche proche de jeu de rôle. Je mexplique : au départ, je me constitue une "Bible". Cest un terme qui vient du jeu vidéo. Cest un document épais qui regroupe toutes les informations sur lépoque, sur les décors, toutes les images, toutes mes "visions", des fragments de scènes dont je ne sais pas encore quoi faire mais qui caractérisent lépoque. Puis, quand jen viens à lécriture, je relis bien les éléments techniques de la scène et hop ! je passe en mode "jeu de rôle". Je deviens un acteur, je ferme les yeux, je me lève de mon bureau et je me joue la scène.
Cest pour cette raison que les archives photographiques de la Belle Epoque ont énormément renforcé mon imaginaire.
D'ailleurs le roman lui-même fait beaucoup référence à l'image et aux gravures, aux livres d'explorateurs en particulier. L'un des personnages principaux (la femme de Philibert Sarrazin) est passionné par les récits d'explorateurs, les monstres marins, les sauvages mangeurs dhommes ou les hommes sans têtes comme on les imaginait en ces temps-là.
Et j'ai donc contemplé moi-même ces images exotiques avant d'entamer l'écriture du roman. J'ai aussi en mémoire une gravure qui ma beaucoup marqué et qui représente le faste incroyable du train royal de Catherine de Médicis. Parce que Catherine de Médicis, au couronnement de Charles IX, a réalisé un tour de France afin de présenter aux français leur nouveau roi, mais aussi pour débrouiller les problèmes de religion qui commençaient à pointer leur nez
Mais revenons à la fameuse gravure du train royal de Catherine de Médicis. Il faut imaginer ça : des ours, un équipage de nains,
Catherine s'entourait d'une cour miniature qui singeait la véritable Cour de France. Des nains, des perroquets, des musiciens partout, des chiens grands comme des veaux, des ambassadrices quelle utilisait pour charmer les hommes importants à convaincre.
Et pour Les jours étranges de Nostradamus aussi, je métais confectionné la galerie dimages qui alimenterait mon imagination.
Ensuite - et c'est ce que je continue à faire dans le livre que je suis en train d'écrire, mon troisième roman - j'ai cherché, peut-être par esprit de provocation, j'ai cherché un sujet pour lequel toute la littérature navait fait quécrire un seul et même livre. Cest le sentiment que jai pour Nostradamus. Le personnage de Nostradamus est en permanence occulté par ses prophéties. Chaque fois qu'on évoque le personnage, on se positionne pour ou contre son astrologie et ses prophéties, on le voit noir ou on le voit blanc. Alors on se met à parler de lavenir de la planète plutôt que de Nostradamus lui-même. Ce quil dit du monde, ce quil annonce et non ce quil est. Mon ambition était donc décrire une histoire à 90°, ni pour ni contre. En essayant de me rapprocher de lhomme et de proposer une vision nouvelle, originale.
Je me suis plongé dans la biographie de Nostradamus et jy ai découvert des mystères passionnants. En particulier, le mystère de la mort de sa première femme. Au début de sa carrière, Nostradamus était médecin, diplômé de l'université de Montpellier. Cétait un homme installé, il avait une femme et des enfants. Et puis un jour, sa femme est morte. Et personne na jamais su de quoi elle était morte. Et au lendemain de ce drame, Nostradamus a disparu. On raconte quil a voyagé jusquen Perse, jusquen Inde. Personne ne sait vraiment ce quil a fait. Cinq, six ans plus tard, Nostradamus revient, il s'installe à Salon-de-Provence, et il écrit sa première prophétie. Quelle merveilleuse histoire !
Alors mest venue lidée d'essayer de relier les pouvoirs de Nostradamus, ses fameuses prophéties, à ce drame personnel : la mort de sa femme. Jai vu Nostradamus dans un rôle de Cassandre, c'est-à-dire cette malédiction de devoir prendre sur ses épaules toutes les catastrophes du monde. Comment un homme peut vivre avec la charge de devoir annoncer aux autres les malheurs qui les attendent ? Les puissants se déplaçaient de toute lEurope pour, en quelque sorte, se délester sur lui du fardeau de leurs malheurs. Alors que, lui, Nostradamus, accablé par ses malheurs personnels, personne ne la jamais écouté
Je cherche à raconter avant tout une histoire intéressante qui met le lecteur au niveau dun personnage qui habitait Paris en mars 1871
La vie de ces gens ne sest pas arrêtée pendant les deux mois et demi de la Commune. Et ils ont vécu des histoires même si le contexte dans lequel ils baignaient était extrêmement lourd et grave.
Ce dont je me rends compte en écrivant mes romans, et dont je n'avais pas conscience auparavant, c'est le plaisir que je retire de lécriture. Certes, je suis heureux de savoir que je suis lu et de discuter de mes romans avec des lecteurs. Mais le véritable plaisir, je le trouve au moment décrire. Et cest simplement le fait de vivre avec une histoire dans la tête 24h sur 24. Quand on lit un bon livre, on partage son univers pendant une dizaine de jours. Quand on lécrit, ça dure un an et demi ! Sans parler de la joie que lon éprouve quand on découvre une nouvelle idée qui donne un nouveau tour à un récit, un nouveau décor, le nouveau trait dun personnage. Ce type de bonheur est extrême.
De plus, grâce à ma situation familiale, je bénéficie dune chance que peu dauteurs ont rencontrée : je peux écrire huit heures par jour et rester disponible pour ma femme et mes enfants. Il nexiste aucune opposition entre mon travail décrivain et ma vie de famille. Je crois que peu de "jeunes" écrivains ont cette chance.
Jen remercie au passage Gilles Dumay qui a vu passer, un jour, mon premier manuscrit sur son bureau, qui la lu et qui la apprécié. Cest là lévénement qui, pour moi, a tout changé.
Jean-Philippe Depotte, merci !
Merci.