Hell's Angels représente l'exemple même de ce qu'on appelle le journalisme gonzo, à savoir un journalisme qu'on pourrait dire d'infiltration. Loin de se contenter d'observer, le journaliste bouleverse son mode de vie pour s'imprégner de son sujet, apporter un témoignage totalement subjectif.
C'est ainsi que Hunter S. Thompson intègre entre 1965 et 1966 le gang de motards des Hell's Angels, en Californie. Ces derniers savent qu'il est journaliste et qu'il écrira un livre sur eux, les choses sont clairement posées. Ces motards sévissent en Californie. Ils sont sans foi ni loi, épris de liberté, anarchistes. Leur quotidien consiste à faire ce qui leur chante et faire fi des règles de vie en société. Pourtant ils ne sont pas méchants. A condition qu'on les laisse faire. Il vaut simplement mieux éviter de les chercher ou de les contredire. Le gang existait depuis de nombreuses années avant d'être connu dans tous les Etats d'Amérique suite à une affaire de viol lors de la Fête du travail. De là à diaboliser le groupe le pas était vite franchi, leur attribuant des méfaits auxquels ils n'ont parfois même pas participé (à leur grand regret).
Pour un jeune lecteur il semble inconcevable qu'un tel gang ait pu perdurer tant d'années, l'esprit des années 70 s'étant totalement volatilisé aujourd'hui. Les Hell's Angels violaient, détruisaient des bars, trafiquaient des motos, se droguaient à tout et n'importe quoi, se battaient plus que régulièrement, dilapidaient leurs économies en amendes et cautions... Des terreurs ambulantes. Et pourtant, il est heureux pour le gang que ce soit Hunter S. Thompson qui se soit intéressé de si près à eux. Sans s'adonner aux mêmes excès, on sent que le journaliste les comprend en partie, voire les excuse, et les admire même pour oser vivre sans entraves. Il parvient ainsi à nous parler du groupe tel qu'il est, sans rien nous épargner, mais en même temps à y distiller un côté humain, presque touchant. On a beau se dire que ce sont des brutes qu'on serait terrorisés de croiser sur notre chemin, il se mêle effectivement une part d'admiration pour ces hommes qui assument leur bestialité, puisque c'est le mot, et leur indépendance à tous points de vue.
Hell's Angels est un document formidable, écrit avec mordant, réalisme. Choquant certes, mais authentique !