Quatre personnages, tous liés à la poésie ou plus généralement à la littérature, tous avec dans leur vie le mot Enigma, tous vivant à Barcelone. Peu à peu, fatalement (au plein sens du terme), ils se rencontrent, sous le signe des livres, et de l'Onyx, une sorte très particulière de club très privé, où chacun a une chance d'être purgé de ce qui l'empêche de vivre.
Chacun devient peu à peu heureux, trouve un sens à sa vie, commence à connaître et aimer les autres. Ils deviennent des conspirateurs, qui visent à concurrencer le pouvoir divin qu'a tout auteur sur ses personnages. Mais cela a un prix.
Il est difficile de résumer ce livre, ou même d'en parler, sans craindre de le déflorer. Ce qui est sûr, c'est qu'il est puissamment original, dans ses personnages comme dans sa thématique.
Dans les personnages, il y a donc Ricardo, qui écrit de la poésie, qu'il n'arrive pas à faire publier, et qui trouve ses moyens de subsistance en étant tueur à gages. Mais pas n'importe comment : pendant qu'il organise l'assassinat de sa victime désignée, il se répète un poème, qu'il prononce à haute voix au moment du meurtre, et qu'il abandonnera ensuite. Il y a Joaquim, atteint d'un mal étrange qu'il a nommé Enigma, et qui le pousse à détruire sauvagement les livres qu'il considère comme "mal finis" par leurs auteurs. Le reste du temps, il est professeur de lettres à l'université. C'est dans ce contexte qu'il rencontre Lea, qui le fascine et qu'il surnomme Fulvia. Celle-ci, timide vis-à-vis de la création littéraire, a cependant écrit quelques nouvelles, qu'elle n'ose pas faire lire à ce professeur qu'elle trouve infiniment cultivé, et fascinant. A la fin de l'année scolaire, elle décide de rester à Barcelone et de renflouer ses finances en travaillant le soir dans un bar de plage, où il peut arriver à Ricardo d'aller prendre un verre. C'est en en partant un soir, très tard, qu'elle rencontre Naoki. Cette jeune japonaise obsédée par la poésie, dont le père est un richissime homme d'affaires, ne supporte que le blanc et le noir autour d'elle depuis le drame qui a brisé sa vie à l'âge de quinze ans, lui causant une mutité hystérique dont la psychanalyse n'a pu la sortir. C'est d'ailleurs son thérapeute qui, en désespoir de cause, lui a parlé de l'Onyx.
On voit donc que la création, les livres, et surtout la poésie, sont au centre du roman. En effet, la question qui obsède Joaquim, jusqu'à la souffrance est celle du pouvoir de l'auteur sur ses personnages : celui-ci peut, surtout à la fin du roman, en faire ce qu'il veut, qu'il s'agisse de les tuer, ou de les abandonner, éventuellement en contradiction avec le caractère qu'il leur a donné lui-même. Mais quand Joaquim décide d'une fin différente, en quoi se comporte-t'il lui-même différemment ? Les personnages existent-ils en eux-mêmes, pour eux-mêmes ? La littérature constitue-t'elle une réalité qui revient d'elle-même à son état défini antérieurement ? Un personnage peut-il prendre possession d'un lecteur ? Et plus généralement quels échanges sont possibles entre livre et lecteur ? Toutes ces questions sont évoquées ici, qui ne peuvent que fasciner un lecteur.
Le style est très vivant, puisque on passe d'un des quatre personnages à l'autre, qui décrivent tour à tour ce qu'ils vivent, et la construction est classique et très plaisante, avec quelque chose d'une tragédie, voire d'un opéra, où chaque personnage commence par un solo de présentation, puis viennent successivement duos, trios et enfin quatuor, en passant par ce choeur représenté, muettement, par l'Onyx.
En somme un roman fascinant, qui de surcroît donne envie de lire ou de relire ceux qui y sont cités, et bien sûr de lire les autres oeuvres de l'auteur.