Marguerita Black regrette de n'avoir jamais rencontré Davis Cooper de son vivant, et a durement ressenti sa mort étrange, noyé de façon inexplicable loin de toute eau courante. Il lui a laissé la maison où il vivait, non loin de Tucson, et "Maggie la Noire", comme il l'appelait, est bien contente de cette occasion de quitter la Californie et son envahissant ex-mari, le beau et talentueux Nigel. De plus, elle se trouve enfin en situation idéale pour écrire la biographie de Cooper, ce qu'elle rêvait de faire depuis des années.
La maison, en fait, se trouve dans les Rincons, qui font partie du désert du Sonora. Dans les bâtiments voisins, qui sont, pour la plupart, sur la vaste propriété dont elle a héritée, vivent une collection d'individus sympathiques, tous plus ou moins artistes : Johnny Foxxe, qui entretient les maisons et joue de l'accordéon et de la flûte indienne, Juan qui est peintre et Dora, son épouse, qui est imprimeur, Tomàs Yazzie, jardinier de génie...
Il y a d'autres voisins plus inquiétants, même si Maggie met plus de temps à les rencontrer. Et l'un d'eux lui donne l'impression de sortir, inchangé, d'un tableau peint quarante ans plus tôt par Anna Naverra, l'épouse défunte de Cooper.
Ce roman a énormément de charme, dans tous les sens du terme, et on comprend facilement qu'il ait reçu le Mythopoeic Award en 1997. Sa première originalité est d'avoir été écrit en partie pour rendre hommage au travail du peintre et illustrateur anglais Brian Froud, dont les représentations inspirées du peuple Fay sont il est vrai fascinantes. Mais on aurait bien tort de n'y voir qu'un commentaire de son oeuvre. De la même façon que Maggie Black découvre qu'elle s'est trompée en voyant dans la poésie de Cooper les personnages mythiques du Royaume-Uni, alors qu'il y décrivait ce que peignait son épouse Anna Naverra, à savoir les personnages sortis des mythes amérindiens, ainsi le roman de Terri Windling s'appuie-t'il simplement sur une superbe représentation graphique pour créer tout un monde fascinant, et très ancré dans la tradition originale du sud des USA.
Le lecteur suit Maggie dans son apprentissage de la vie loin de toute grande ville, dans une nature parfois envahissante, et dont elle ignore les codes. Cette citadine apprend peu à peu, avec beaucoup d'aide, à voir au-delà des apparences. Ce faisant, elle refait le chemin qu'avaient parcouru avant elle Anna Naverra et Davis Cooper. L'histoire est donc "à tiroirs", mais l'impeccable construction, avec notamment d'anciennes lettres de Cooper en conclusion de chaque chapitre, évite de s'y perdre.
Les personnages, humains ou non, sont très crédibles, et la réflexion sur l'art, ses fondements, le talent qu'on a ou pas, et la façon dont le besoin de créer est, ou non, partie intrinsèque, voire fondatrice, de chaque artiste, et donc ce qu'il reste de soi une fois l'inspiration évanouie, est certes en filigrane mais bien présente. L'histoire n'est pas négligée pour autant, puisque le mystère de la disparition du dernier recueil de poèmes de Cooper, et de sa mort, sera éclairci à la fin. Entre autres mystères...
En somme, ce roman superbe et original, heureusement réédité à un prix abordable sans y avoir perdu son admirable couverture qui donne immédiatement envie d'en savoir plus sur Brian Froud, mérite incontestablement qu'on s'y arrête. Pour qui aime la fantasy en-dehors des sentiers battus, c'est un must incontournable.