Anna Zaridès arrive à Constantinople, déguisée en eunuque, pour découvrir pourquoi son frère jumeau, Justinien Lascaris, a été exilé. Pour cela, il lui faudra comprendre pourquoi Bessarion Comnène a été assassiné, qui il était, quel rôle il jouait sur cette scène complexe où l'empereur Michel Paléologue essaie de sauvegarder sa ville, à tout prix, quitte s'il le faut à renoncer à sa foi orthodoxe.
En effet, en cette fin de XIIIe siècle, alors que les papes se succèdent à un rythme effarant sur le trône de Saint-Pierre (six en moins de quinze ans !), Charles d'Anjou, roi de Sicile, veut retourner à Jérusalem, et piller Constantinople au passage, en guise de bonus. Mais bien sûr il ne pourra pas le faire si la ville orthodoxe entre dans le giron de Rome.
L'empereur le sait. Tout le monde le sait. Sauf peut-être l'évêque Constantin, convaincu qu'il suffit d'avoir une foi suffisamment forte pour protéger la ville. Sauf peut-être Zoé Chrysaphès. Et Bessarion Comnène, cet homme pieux et rigide, le savait-il ?
Cette fresque complexe et fascinante, comme le tissu de relations et d'évènements qu'elle dépeint, ne lasse jamais l'attention du lecteur. D'abord, on apprend beaucoup sur l'histoire mouvementée de la seconde moitié du Moyen-Âge, et notamment sur les grandes batailles religieuses (et financières...) du temps. Ensuite, comme d'habitude avec Anne Perry, les personnages sont magnifiques, à la fois crédibles et plus grands que nature, comme Zoé Chrysaphès, un superbe personnage de femme, odieuse et attachante. Mais il faudrait les citer tous...
L'auteure arrive aussi à faire toucher du doigt le poids culturel des eunuques, et combien ils pouvaient déranger par leur neutralité le clergé romain, pour qui la chasteté devait reposer sur la volonté et non sur une incapacité. Et bien sûr cela lui donne aussi l'occasion, en filigrane, d'écrire sur le thème de la différence des sexes.
Le seul bémol que j'émettrai, outre des imprécisions de traduction, peu nombreuses, il est vrai, et très excusables vu l'ampleur du pavé et son intrinsèque ambiguïté dans les genres des personnages, c'est que j'aurais vraiment aimé trouver, à côté de l'impressionnante bibliographie, une postface détaillant quels personnages et évènements sont historiques, et lesquels appartiennent à la création romanesque.
Enfin, on notera que, bien que ce roman soit paru dans une collection policière, l'enquête est ici si ténue, tout juste un prétexte, que celui qui voudrait lire un roman policier ferait mieux de chercher ailleurs... à commencer par l'oeuvre abondante de l'auteure !