Si l'on connait plutôt bien l'Allemagne nazie, l'Espagne franquiste est plutôt délaissée dans nos cours d'histoire. Pourtant, Franco n'avait rien à envier à son homologue allemand. Cette dictature était d'une cruauté sans nom, et c'est au coeur de cette période que nous plonge Serge Mestre.
En 1953, Julia et Esther sont deux orphelines, adolescentes. On doit les emmener dans un couvent, par train, avec une poignée d'autres fillettes. Par chance, elles parviennent à s'échapper, et leur fuite les mène tout droit dans la camionnette de Peio, un activiste communiste engagé dans la résistance contre Franco. Les deux jeunes filles seront mises à l'abri dans une ferme, mais le danger rôde, la milice franquiste sillonne les campagnes. Julia a une cousine lointaine en France, à la frontière, également membre d'un réseau activiste. Elle prendra les deux enfants sous son aile.
En 1989, Julia enregistre sa dernière émission radio à Paris. Elle va bientôt emménager en Espagne avec son compagnon, Pierre-Alexandre. Emmanuel, son collaborateur depuis 20 ans, ne comprend pas. Elle qui se sentait chez elle en France, pourquoi ce retour aux racines, nouées par des souvenirs terrifiants ? A l'occasion du pot de départ, Emmanuel a fait la surprise à Julia de la présence Esther. Ces retrouvailles intenses seront l'occasion pour lui d'en apprendre plus sur un passé qu'elles n'ont jamais totalement dévoilé. Le récit prend ainsi la forme d'un continuel va-et-vient entre le passé et le présent. Le lecteur va apprendre peu à peu ce qui est arrivé à Julia et Etsher, ce qu'elles ont subi, ce qui a fait d'elles ce qu'elles sont adultes.
Ce roman possède une force indéniable, celle de nous placer face à une période de terreur que nous connaissons peu, et nous ne pouvons nous empêcher de nous demander pourquoi l'Espagne sous Franco est globalement négligée à l'école, au cinéma, en littérature, alors que les méthodes employées sont à l'image de celles de Hitler. Les interrogatoires à tout va, les tortures, les arrestations et fusillades au moindre prétexte... Serge Mestre fait bien ressortir le souci d'hispanité de la part du régime et la volonté d'exterminer les Rouges. Le rôle du clergé dans cette dictature est écoeurant, aussi bien sur le plan idéologique que sur l'aide pratique apportée dans les couvents et les prisons.
La construction du roman est extrêmement bien agencée, avec ces aller-retour entre le passé et le présent, qui suscitent chaque fois plus d'interrogations et nous rendent curieux de connaître les réponses. L'intrigue est passionnante, non seulement de par la vie de Julia et Esther, dont on apprend le parcours difficile (le mot est faible), mais surtout parce que le récit recèle de révélations qu'on ne voit absolument pas venir. L'auteur nous scotche littéralement, et ce jusqu'aux toutes dernières pages.
La lumière et l'oubli est un excellent roman. L'histoire est extraordinaire, menée comme un thriller en réalité quant au mystère des passés respectifs des deux femmes. Et lorsqu'on connait peu, voire pas du tout l'Espagne franquiste, c'est un ouvrage très instructif, duquel on ne ressort de toutes façons pas indemne.