Parmi les gens qui vivent de leurs talents guerriers ou arcaniques, il existe plusieurs catégories. Les représentants de la première se battent pour défendre leur honneur, leur famille, leur patrie - des individus respectables et loués dans les contes, des héros. Ensuite, il y a ceux qui font à peu près la même chose mais dans une relation contractuelle rémunérée, les mercenaires, des travailleurs comme les autres, utiles, nécessaires et réglementés. Enfin, le dernier groupe reprend ceux qui restent, sociopathes, ordures, misérables, toujours là lorsqu'il faut faire le sale boulot, massacrer, écorcher, violer : les aventuriers.
Un aventurier n'est jamais seul, il se déplace toujours en compagnie de ses collègues qu'il veut tuer, voler, utiliser comme appât (souvent les trois en même temps). Il va même jusqu'à recruter des membres d'autres races, comme des shictes puants ou des hommes-dragons psychopathes. Le plus sage d'entre eux (à moins que ce soit le plus dangereux) prend d'office le commandement du groupe et a la lourde tâche de les empêcher de s'entretuer. Exactement ce que Lenk est en train de gérer pour le moment. Kataria et Denaos sont sur le point de s'étriper, Dreadaelon insulte le dieu de la prêtresse Asper et vient de cramer un marin, tandis que Gariath refuse de sortir de la cale, les humains n'étant pas dignes de sa présence. La petite voix dans la tête de Lenk lui dit de tuer et les pirates passent à l'abordage...
Le livre des abysses est le premier roman de Sykes, un jeune auteur anglophone. Pour un début, c'est pas mal du tout. Il nous propose un récit d'aventures mouvementées doté de personnages exquis et de dialogues explosifs. Son style d'écriture est dynamique, ironique, il permet aux conversations entre personnages de vite devenir d'amusantes engueulades. Cependant, par la même occasion, il peut laisser perplexe le lecteur par une certaine confusion dans la narration. Il me donne l'impression de ne pas être tout à fait maîtrisé et dominé par son auteur.
A contrario, un domaine que Sykes maîtrise parfaitement est celui de ses personnages et des relations très complexes de ceux-ci. Il ne faut pas vingt pages pour que les protagonistes deviennent familiers. La personnalité de chacun d'eux est merveilleusement détaillée et l'auteur a le talent nécessaire pour faire ressortir leur côté obscur et leurs plus basses envies. Cette équipe tient le roman de bout en bout, l'ensemble du récit a été construit autour d'elle à un point tel que le lecteur s'attachera plus à l'évolution des personnages qu'à celle de l'aventure, les deux restant, tout de même, liés.
Le problème majeur de ce livre est le rythme, parfois vif et effréné, parfois extrêmement plat et lent. L'histoire est découpée en trois actes principaux. Au sein des deux premiers, on se demande souvent quand est-ce que ça va démarrer, une impression de sur-place demeure. La bataille du début est bien réalisée mais elle court sur environ deux cent pages, ce qui est beaucoup même si les héros passent plus de temps à se menacer entre eux qu'à démolir les pirates. Ensuite, c'est un peu tout le temps la même chose, le rythme est en dents de scie et les longueurs gâchent le plaisir de lecture.
Enfin, la dernière incongruité : j'ai eu l'impression de lire pendant plus de cinq-cents pages les minutes d'une séance de jeu de rôle avec des PJ au caractère fort opposé réunis au sein d'une compagnie de manière assez peu vraisemblable. Cela ne m'a pas dérangé outre mesure mais cela risque de ne pas plaire à tout le monde.
En conclusion, ce premier roman de Sykes est violent, cynique et doté d'excellents personnages, malgré ses défauts (de jeunesse, j'espère), Le livre des abysses reste très amusant à lire.