Elle l'a charmé, ils se sont aimés, il l'a quittée. Telle est en substance l'histoire racontée dans ce roman, ou plutôt cette autofiction. Car quelle est la part de fiction ? Quelle est la part de réel ? Emmanuelle Pagano présente ce livre comme le résultat d'un jeu avec un autre écrivain, une oeuvre "dans laquelle nous inventions que nous nous aimions". Pourtant cet écrivain inconnu s'est retiré du jeu, a récupéré toutes ses lettres, si bien que nous n'avons qu'un partie de leur correspondance, les lettres de l'auteure. Que signifie le désengagement de cet homme ? Etait-ce plus qu'une oeuvre de fiction ?
Les lettres d'Emmanuelle Pagano sont très troublantes, car il est extrêmement difficile de les lire en se disant que ce n'est pas réel, juste un jeu littéraire. Sa passion pour l'autre s'exprime dans chaque mot, chaque voyelle, chaque espace entre les mots. Elle lui parle de ses enfants qu'elle aime moins que lui, de son mari qu'elle n'aime plus, qui accepte ce jeu littéraire ambigü et les conséquences qu'il pourrait avoir. Car visiblement les deux écrivains ne se sont pas contentés de s'écrire. Ils se sont rencontrés, une fois, puis deux, puis.... jusqu'à ce qu'elle quitte son mari pour vivre de son côté, avec lui, l'écrivain. Cette histoire d'amour semble bien plus réelle qu'annoncée. Ce qui donne vraiment tout son intérêt à ce roman c'est la face cachée de l'histoire. On devine par les réponses de l'auteure les pensées et réactions de l'écrivain, mais finalement on reste dans le flou. Il semble frileux, puis s'abandonne, avant de l'abandonner, elle. Emmanuelle Pagano estime qu'elle le tient "par les mots et par le sexe".
Le sexe. Ames sensibles, ne vous abstenez pas. Certes, les détails de leurs ébats sont donnés en long, en large et en travers, souvent de façon crue. Et pourtant, lorsque Emmanuelle Pagano parle de faire l'amour, l'expression est à prendre au sens premier. C'est sa façon à elle de façonner leur amour, de lui donner une consistance. Malgré les scènes intimes, il n'y a rien de vulgaire, d'impudique. La sensualité prime sur la sexualité. Cette sensualité s'exprime du début à la fin, car l'écriture de l'auteure est charnelle, soyeuse en même temps que poétique et métaphorique. C'est ce qui nous pousse à lire avec délectation ces lettres les unes après les autres, malgré la redondance du sujet, leur amour.
L'absence d'oiseaux d'eau est un très beau roman. Un roman d'amour, réaliste, passionné, contrarié, et peut-être unilatéral. Mais c'est aussi un roman qui interroge, car on ne connait pas la part de vérité, il n'y a qu'un seul son de cloche, et surtout, on se demande qui est cet écrivain. Quelque part on a envie qu'il vienne compléter le diptyque, mais a contrario, la beauté de ce roman réside aussi dans sa part de mystère.