Les Chroniques de l'Imaginaire

Intouchables

Philippe est en fauteuil roulant depuis qu'un accident de parapente l'a privé de l'usage de ses quatre membres. Il ne peut donc rien faire seul, et grâce à sa fortune vit dans une maison de maître nichée au coeur de Paris, dispose de l'équipement adéquat et du personnal mécical nécessaire. Mais cela ne suffit pas : pour vivre au quotidien Philippe recherche un employé capable d'être ses bras et ses jambes, de le suivre et veiller sur lui en permanence. Contre toute attente, il donne sa chance à Driss, un jeune qui sort tout juste de prison et s'était uniquement présenté pour signer un papier pour toucher ses ASSEDIC. Plus par défi que par volonté réelle, Driss accepte. Si les débuts sont difficiles, car oui, il faut mettre des bas de contention à un homme, non, un tétraplégique ne peut pas se laver seul, une relation très forte va unir les deux hommes, une amitié profonde, sincère, touchante et immensément drôle.

Le sujet du handicap n'est pas facile à aborder. Comme pour tout ce qui touche au physique, le politiquement correct est encore un frein. Et il faut attribuer à Eric Toledano et Olivier Nakache le grand mérite d'avoir su traiter ce thème sans détour mais sans légèreté non plus. Les difficultés de la vie quotidienne de Philippe sont dépeintes, l'impossilité d'écrire ses lettres ou d'aller prendre l'air seul, et aussi les douleurs fantômes, contre lesquelles on ne peut rien faire. Mais ce film ne verse absolument pas dans le pathos, au contraire, grâce à Driss qui ne regarde pas Philippe comme un handicapé mais comme une personne à part entière. Il lui tend le téléphone comme si Philippe pouvait l'attraper, le taquine en refusant de lui donner un bonbon : "pas de bras, pas de chocolat". Ce qui fait rire Philippe, car il n'attendait que ça, quelqu'un qui ne le prenne pas en pitié, qui le charrie sans se soucier du politiquement correct. A côté de Driss il vit, il rit, il est bousculé aussi, car Driss n'hésite pas à le pousser dans ses retranchements, à lui faire aller vers cette femme avec qui il correspond, mais à qui il n'a pas avoué son handicap.

On oscille en permanence entre les éclats de rire et l'émotion. François Cluzet est comme toujours formidable, très expressif dans ses mimiques, son regard. On perçoit nettement la différence entre l'homme blasé d'être considéré comme un sous-homme et l'homme heureux d'être enfin reconnu comme une personne à part entière. Omar Sy quant à lui se révèle être une très bonne surprise ! Son rôle lui correspond à merveille, le boute-en-train de la maisonnée, toujours prêt à plaisanter, et qui traite tout le monde sur un pied d'égalité, que ce soit l'intendante Yvonne ou la fille de Philippe. Driss est respectueux mais n'a que faire des convenances et du politiquement correct, et c'est là une des grandes forces du film. Mais Omar Sy n'est pas là que pour faire éclater son grand sourire. Son personnage a fait de la prison, a grandi dans une famille de cité pauvre, et voir son frère se faire entraîner dans des histoires de quartiers lui ramène les pieds sur terre, celle d'où il vient.

C'est donc un film contre les préjugés à un double niveau. Ceux qu'on peut avoir envers les personnes handicapées, qui intellectuellement et émotionnellement sont comme les valides. Mais aussi ceux qu'on peut avoir envers les différences de milieux sociaux. Philippe n'a pas regardé Driss comme un jeune à problèmes, il a d'abord vu un homme qui l'a fait rire et lui a parlé normalement, sans pitié. Chacun a évolué grâce au regard de l'autre, et s'en est suivie une magnifique amitié.

Le scénario est excellent, mais que dire des dialogues ? Ils sont encore au-dessus de ça. On ne rit pas, on éclate de rire. On n'est pas juste émus, on est chamboulés. Certaines scènes seront bientôt cultes, notamment celle de l'opéra, celle du musée, ou encore celle la première fois où Driss doit s'occuper de Philippe.

Intouchables est un excellent film à tous points de vue, bien équilibré dans l'émotion et par le jeu du duo. Précisons au passage un détail non négligeable. Ce film est tiré d'une histoire réelle, celle de Philippe Pozzo di Borgo et Abdel Yasmin Sellou, et c'est en visionnant le reportage qui leur était consacré, A la vie, à la mort que les deux réalisateurs ont eu l'idée d'en faire un film. Intouchables est le plus bel hommage que l'on pouvait faire à leur amitié. Et si eux sont intouchables, c'est loin d'être le cas du public.