Un premier roman suscite toujours en même temps la curiosité et la méfiance. Qu'est-ce que ce nouvel auteur va apporter de plus ? Son manque d'expérience va-t-il gêner la lecture ? Force est de constater qu'Adrien Tomas balaie ces appréhensions d'un revers de main. Les premières lignes harponnent le lecteur tant l'écriture est fluide et musicale, soignée sans arabesques linguistiques. L'entrée dans son monde est immédiate, et la narration est telle qu'on y entre toujours un peu plus tout en douceur, car on apprend à connaître le continent des six royaumes petit à petit, sans être noyés d'informations impossibles à retenir et qui nous perdent au bout de quelques pages.
L'histoire dans laquelle nous plonge Adrien Tomas est fascinante. Six royaumes cohabitent bon gré mal gré sur un même continent. Cinq royaumes humains entourent le Sixième royaume, la Grande Forêt. Les humains ne savent pas exactement qui y vit, mais ils savent qu'ils ne doivent pas y aller. En réalité le Sixième royaume abrite les créatures qui ont été chassées des terres humaines il y a bien longtemps. Les sylphides, êtres bleus à l'organisation myrmécéenne, sont chargées par le Père, l'arbre maître de la forêt, de repousser les intrus malintentionnés. La Grande Forêt abrite également dragons, garous, dryades, et elfes beaucoup moins avenants que l'image qu'on s'en fait habituellement.
Dès le début nous rencontrons les personnages clés du roman. On comprend aisément qu'ils auront un rôle à jouer mais le dessein reste mystérieux. Que peut bien relier un conteur rymite, une sorcière grise revenue à la vie après 400 ans passés dans la Fontaine de l'oubli, un marchand et un voleur sélènes, et un garou ? Ce sont tous des hérauts du Père. Ils seront amenés à combattre au nom du Sixième Royaume, contre l'Autre, qui tient le royaume des Terres de Seï. Le poids de la responsabilité de tout un royaume tombe sur les épaules de ces hérauts, un poids bien lourd qu'ils vont devoir alléger en développant le Don qui leur a été donné à la naissance, Don dont ils n'avaient pas pleinement conscience jusqu'à présent. Mais pour que la guerre soit équilibrée, l'Autre a lui aussi appelé cinq hérauts, chacun étant le double d'un de ses adversaires. Si de grandes armées sont engagées dans cette guerre, ce qui fera véritablement pencher la balance d'un côté ou de l'autre est la victoire d'un héraut sur son double en face à face.
Chaque chapitre, plus ou moins court, est consacré à un personnage. Cela permet au lecteur d'avancer doucement dans l'histoire, en restant à côté de chaque héraut tour à tour, aussi bien que des personnages annexes, tels que Tildor, le Runique historien qui n'a pas le droit d'intervenir dans le cours des choses, et surtout des ennemis. Toute une partie du roman est consacrée à mettre en place l'intrigue et à déterminer la place de chacun au coeur de cette intrigue, si bien que lorsque l'affrontement s'engage on est au coeur des évènements sans se sentir perdus devant la quantité des personnages. Adrian Tomas a créé un véritable univers, avec sa géographie, ses populations et leurs coutûmes, un monde magique et politisé en même temps. Les personnages sont attachants à la minute où on les rencontre, on prend énormément de plaisir à les suivre au fil des pages. On perçoit également un discours écologiste sous-jacent et très discret dans ce roman écrit par un diplômé d'écologie. Pour qui est un amoureux de la nature cela ajoutera encore au plaisir tiré du roman.
C'est un véritable coup de coeur pour ma part, aussi bien pour l'exceptionnelle qualité de l'écriture, fluide et envoûtante, que pour l'excellente histoire qui nous est offerte, avec des personnages très différents et attachants. Les émotions sont multiples et décrites avec une justesse parfaite. J'aurais aimé continuer de faire un bout de chemin avec Llir, Maev et Lilthyn, mais à défaut, j'attendrai d'avoir l'occasion de me replonger dans le prochain ouvrage d'Adrien Tomas, un auteur à suivre de près.
