La main droite du diable n'est pas un roman policier à proprement parler, plutôt un roman noir. Jack Taylor a été anéanti par la mort accidentelle de la petite fille de ses amis, qu'il était censé garder au moment où elle est tombée d'une fenêtre. Lorsque le roman commence il sort tout juste de l'hôpital psychiatrique dans lequel il avait été interné suite à cette tragédie, cinq mois auparavant. Son retour à Galway est rude. La garda (agent de police) avec laquelle il a l'habitude de coopérer lui trouve un logement mais leurs relations sont très tendues, chacun y va de sa pique, et cela signe dès le début l'atmosphère de ce roman. Jack Taylor est un être taciturne, aux répliques et pensées cinglantes, le personnage typique du roman noir. Il a la nostalgie du Galway qui n'était qu'un village, lutte presqu'à chaque page contre son désir d'alcool car il essaie de sortir de sa dépendance. Ce qui le pousse souvent à entrer dans un pub, commander un verre, et le regarder sans jamais y toucher.
Dans le même temps, un prêtre, ou plus précisément, "le prêtre de sa mère", vient le trouver afin de résoudre une énigme. Qui a décapité le père Joyce ? Autant le dire tout de suite, il n'est en rien question d'une enquête approfondie, avec des fausses pistes, des révélations et tout ce qui fait un roman policier traditionnel. Ici, ce mystère n'est là que pour mettre en exergue les travers de l'Eglise catholique, à savoir la pédophilie, les secrets, les scandales. L'auteur n'hésite pas à citer des faits réels pour appuyer son propos, ancrant son texte dans un contexte précis dans lequel on se projette facilement. Et pas seulement au sujet des prêtres. Il évoque aussi la mort de Johnny Cash, une chanson des Back Eyed Peas, la série Friends... Cette modernité contraste avec ses souvenirs de l'ancien village de Galway, l'atmosphère encore enfumée des pubs, le vieil accent irlandais...
Ken Bruen est un auteur comme je les aime. Cynique, incisif, et l'écriture s'en ressent. Les phrases sont tronquées, commencent par un verbe, ne sont parfois constituées que d'un groupe nominal. Ses traits d'esprit sont corrosifs et drôles en même temps, à la manière de Desproges. L'intrigue policière est sans aucun intérêt, c'est tout ce qui gravite autour qui prend aux tripes : le delirium tremens de Jack Taylor, l'intimidation de la part de la police, l'hypocrisie de l'Eglise. Au cours du récit le narrateur glisse plusieurs remarques sur la façon dont les choses se passent en Irlande.
Cet auteur est uné véritable découverte et je le relirai avec grand plaisir. Non pas pour me plonger dans une histoire, mais pour me délecter de son humour noir irlandais qui ose pointer du doigt lorsque d'autres préfèrent regarder de l'autre côté.