Anorexie, voilà le nom de la maladie qui ronge littéralement la jeune Emma depuis une année entière. Le contrôle absolu du corps, la disparition de toute trace de féminité, l'annihilation de la femme en devenir. Emma se remplit puis se fait vomir, nourriture à peine mâchée qui rejaillit dans la cuvette des toilettes. Un journal intime, celui de Jacques Desroches, français collaborateur des nazis. Il y raconte ses jeunes années, son engagement auprès de l'Allemagne, ses idéaux politiques et surtout sa participation à un projet d'envergure, un camp secret situé au fin fond de la Pologne et qui porte le nom du village auprès duquel il est construit : Sobibor. Deux personnes, deux époques et un lien, secret monstrueux et terrible dont la révélation apportera le salut.
Avec Sobibor, Jean Molla nous propose, à sa manière, de revenir sur un des épisodes les plus tragiques du siècle dernier : l'extermination du peuple juif par l'Allemagne d'Hitler. Un devoir de mémoire indispensable, pour ne jamais oublier ce dont l'homme est capable. Car c'est bien le thème principal de l'ouvrage : la mémoire. Ce qui reste après, ce qu'on a voulu cacher, ce qui finit par réapparaitre au fil des ans car on ne peut et on ne doit pas occulter l'horreur absolue.
Le récit alterne entre l'histoire d'Emma, aux prises avec l'anorexie et le journal de Jacques qui décrit sa vie à Sobibor. Les deux époques sont chacune racontée à la première personne et l'auteur réussit avec justesse à donner aux deux protagonistes sa propre voix et son propre style. J'ai été particulièrement choquée par le ton de Jacques qui raconte l'horreur avec un détachement et une froideur absolus. L'histoire est dure, tragique mais nécessaire. Ne cherchez surtout pas de raccourcis faciles entre les camps et l'anorexie d'Emma. On traite ici du poids du secret qui ressurgit sur les générations suivantes sans qu'elles soient conscientes du fardeau qu'elles ont à porter. C'est un ouvrage de fiction mais dont les faits sont pourtant bien réels, même si ils n'ont pas existé tels quels. D'ailleurs, les nombreuses notes en bas de pages permettent de faire le lien avec l'Histoire, la vraie.
Un livre à découvrir absolument, résolument, sans limite.
