Les Chroniques de l'Imaginaire

Des corps en silence - Goby, Valentine

Claire sait qu'il lui faut quitter Alex, que leur couple est mort depuis longtemps, que le seul corps complémentaire du sien, ce n'est plus celui de son mari, mais celui de leur fille, Kay. Elle refuse ce désert, ce silence, cette absence de corps, qu'est devenue leur ancienne passion.
Pour Joseph, Henriette a quitté Léo. Pour Joseph, dont le corps faisait chanter le sien, lui donnait vie. Elle lui a voué son corps, et tout le reste de sa vie. Ils se sont mariés. Pour le garder, elle est capable de tout.

Semblant superficiellement jumelles, ou pour le moins situées dans le prolongement l'une de l'autre, avec ces passages de l'une à l'autre dans la même phrase, ces deux femmes au corps vide et en manque d'homme, sont en fait totalement opposées, surtout par leur rapport à leur enfant. En effet, là où Henriette se reproche de ne pas tenir compte de sa fille (même si elle y pensera à l'instant fatal), Claire ne regrette même pas d'avoir toute sa vie polarisée sur la petite Kay. Là où Claire voit le désir tué par la maternité, considérée aussi comme le fait de voir son mari comme un enfant, Henriette n'a clairement de place, dans sa vie, que pour son mari, leur fille ne pouvant être que le point focal des regards unis de ses deux parents (la scène du piano est révélatrice à cet égard de la fêlure du couple, et Henriette ne s'y trompe pas).
Et il se pourrait bien que l'évolution du couple, de l'idée que nous nous faisons de l'amour, et des relations hommes/femmes, comme parents-enfants, tienne tout entière dans cette image en miroir de deux femmes qu'un siècle sépare. Encore une belle réussite de Valentine Goby que ce roman court, qui donne à réfléchir bien au-delà de son format.