"As porz d'Espaigne en est passet Rollant
Sur Veillantif, sun bun cheval curant.
Portet ses armes, mult li sunt avenanz [...]"
Beau héros sans peur et sans reproche, tel est Roland, tête de file des chansons de geste épiques. Il est le compagnon du souverain français le plus conquérant mais aussi le plus mythique des années 800. Charlemagne a rallié la France sous sa bannière, et l'Espagne est bientôt conquise dans son entièreté. Mais Saragosse résiste encore à l'envahisseur. Marsile la tient et ses alliés puissants empêchent Charlemagne d'exprimer impunément sa domination. Sur les conseils de Roland, il envoie alors Ganelon comme émissaire pour proposer un marché. Celui-ci se sent trahi, et en propose un autre au seigneur espagnol : il pourra attaquer en traite l'arrière-garde du roi franc et ainsi défaire Roland et les pairs du royaume.
Trahison, faits d'armes, bravoure, fierté, honneur, vengeance et combat contre les infidèles sont les ingrédients essentiels à l'accomplissement narratif de ce pilier de la littérature médiévale. La chanson de Roland a traversé les siècles, preuve est cette édition pour les douze ans et plus, qui présente efficacement autant le texte que le contexte. Les extraits adaptés par Michel Laporte jalonnent le déroulement de l'action de la chanson de Roland en évitant l'écueil des longueurs du texte source. Le choix des fragments du Roland après Roncevaux m'a semblé lui aussi éclairé : illustrant les titres des récits dont ils sont issus, ils soulignent parfaitement la distance entre la geste épique catholique et terre-à-terre et des textes plus renaissants et courtois, où se mêlent magie, amour et folie. Par ailleurs, grâce à de courts paragraphes introductifs qui situent l'action, possibilité est donnée de lire chacun des onze récits indépendamment des autres. Cerise sur le gâteau pour les puristes de la littérature médiévale, Michel Laporte égraine une fois par chapitre des citations en anglo-normand - avec traduction en regard bien entendu - issus des manuscrits originaux, qui rajoutent à l'authenticité de l'adaptation. Finalement, chaque partie de cet ouvrage est conclu par un petit exposé contextuel linguistique et historique qui permet de resituer les uvres dans le flot de versions manuscrites et qui rappelle à nos bons souvenirs la réalité de l'expression écrite avant l'imprimerie.
Cependant cet ouvrage ne se laisse pas enfermer dans cet aspect un peu trop didactique. Les illustrations de Frédéric Sochard veillent au grain : s'inspirant des enluminures et de la calligraphie médiévales, elles reposent les yeux tout en intriguant. On cherche à lire les titres, à deviner la suite en fonction des dessins...
Évité donc et de loin, le côté rébarbatif, pour laisser la place à un bien bel ouvrage à étudier en classe certes, mais aussi à lire en tant qu'adulte quand on a pas eu l'envie ou le temps de plonger corps et âme dans les méandres des manuscrits d'Oxford et consorts !