Les Chroniques de l'Imaginaire

Le vrai monde - Kirino, Natsuo

Le lombric est un looser. Il en a l'air en tous cas. Le lombric, on le connait pas vraiment, c'est pas le genre de personnes à qui on a envie de parler. D'abord, il ressemble à un lombric, et puis, il n'a rien d'intéressant ce garçon. Rien qui ne donne envie ne serait ce que de lui adresser la parole. Et puis c'est l'été, il fait chaud... Et la seule chose qu'il y a à faire c'est de se rendre dans l'un de ces instituts de gavage spécialiste du bachotage et de la préparation aux concours d'entrée dans les universités.

Et puis, c'est le choc, l'ebullition, l'invraissemblable. Le lombric a tué sa mère. A coups de batte de base ball. Comme ça, sans réfléchir, et puis il est parti. Et il a volé le vélo et le portable de Toshiko. Sur une impulsion, il appelera le groupe d'amies. Quatre jeune filles qui se retrouveront chacune à sa manière impliquées dans la fuite en avant du tueur adolescent.

Le plus frustrant avec ce livre, c'est de ne pas assez connaitre les us et coutumes japonais. L'état d'esprit de ces cinq jeunes gens tout au long du bouquin parait tout à la fois simple, crédible bien qu'étrange et irréel.

Cette cavale résonne comme un coup de poignard dans la société nipone actuelle.

On entre dans la peau des personnages par des changements multiples de narrateurs. On apprend à connaitre chacun d'eux et pourtant on ne s'y attache pas vraiment. Attention, pas qu'ils soient fades ou sans saveurs, ils ont tous une personnalité complexe et bien souvent c'est en grattant un peu, au cours de certaines introspections, que l'on trouve les plus jolies choses. Non, on ne s'y attache pas parce que je ne crois pas que l'auteur le veuille, au fond. Ces enfants sont le fruit de cette société qui les porte. Ils sont lisses en apparence, et au fond les préoccupations de chacun sont extrêmements égocentriques. Tout leur coule dessus. A l'extrême, un acte tel qu'un matricide réveille un peu en chacun d'eux quelque chose de vivant. De sale et décadant certes, mais de vivant.

Le rythme est là, chaque changement est presque perçu comme un changement de "caméra". On bascule de l'un à l'autre avec une facilité désarmante et on court avec eux vers une fin aussi triste qu'inéluctable. La misère humaine dans toute sa splendeur. Une vision un peu à la Dostoïevski, il est vrai, où on trouve dans tout cela un peu de Crimes et chatiments.

La meilleure qualification pour cet ouvrage est bien celle de roman noir. L'écriture en elle même est fine et tranchante, et on a d'un bout à l'autre du roman la sensation de marcher sur un fil. Une performance d'équilibriste qu'il faut saluer. Il est facile de reprocher à chacun de vivre en mouton de Panurge, il n'est pas si simple d'assumer en être un, surtout lorsque l'on se rend compte comme la marginalité peut être douloureuse.

Un très bon roman, et un excellent moment de lecture.