Les Chroniques de l'Imaginaire

Le septième fils - Thorarinsson, Arni

L'Islande, un pays qui fait rêver. Les fjords, la neige, les villages coupés du monde... Le paradis ! Certes, mais un paradis où "le diable [...] mène la danse". La mondialisation, la globalisation, la cupidité, la télévision et les séries américaines pervertissent le peuple islandais. Les jeunes ne respectent plus rien, les adultes ne pensent qu'à augmenter leur marge bénéficiaire, et les footballeurs célèbres se font assassinés...

Reporter au Journal du Soir, Einar a été muté à Akureyri. Mais il ne s'y passe pas grand-chose depuis quelques temps. Il en est réduit à gribouiller des articles promotionnels pour des jeunes qui veulent lancer leur entreprise de nettoyage de vitres. Son rédacteur en chef à Reykjavic décide donc d'élargir son champ de compétence, une soi-disant promotion... Il veut envoyer Einar enquêter aux quatre coins de l'Islande. Son premier article devra exposer les conséquences pour les fjords de l'Ouest de la chute des quotas de pêche et de leur acquisition par des entreprises multinationales ; un sujet absolument bateau mais qui avec un peu de chance fera vendre, puisque c'est le nouveau credo de la direction du Journal. De mauvaise grâce, il se rend à Isafjördur, où contrairement à ses attentes, il est accueilli comme un chien dans un jeu de quilles. Les dirigeants de la ville ont d'autres préoccupations que l'éventuelle publicité qu'un tel article représenterait : une maison historique a été incendiée, et quelqu'un a déféqué sur la tombe du constructeur de la maison en question. Aucun doute, le séjour d'Einar sera bien plus mouvementé qu'il ne l'avait prévu...

A l'image de la splendide illustration de couverture, Le septième fils présente de prime abord un aspect paisible, reposant, idéal pour des vacances, mais presque dénué d'intérêts. Einar est le seul personnage qui semble avoir un peu d'étoffe. Mais au fil des pages, on se laisse entraîner dans ces paysages immobilisés par la neige, on est envoûté par ce quasi huis clos (les transports avec la capitale sont constamment interrompus à cause des conditions climatiques) entre une ville, ses habitants et un inquisiteur extérieur qui vient déterrer leurs sombres secrets. En fin de compte, la narration plutôt lente et les descriptions contemplatives font tout le charme de ce roman pas comme les autres. Car si l'Islande est un pays moins coupé du monde qu'autrefois, la culture littéraire semble s'y être toutefois développée loin des sentiers battus de nos contrées occidentales. Arni Thorarinsson arrive à nous emmener au cœur de son pays tout en nous en faisant ressentir fortement l'ambiance qui y règne : désillusion face au monde actuel, rébellion contre l'autorité établie, malheurs et idéaux... On comprend mieux au gré des rebondissements que le calme apparent n'est que relatif, et que la vie en Islande n'est au final pas si éloignée de celle que nous connaissons chez nous.

Ne perdons cependant pas de vue que, si cet ouvrage peut être partiellement considéré comme une analyse sociologique, il est avant tout un polar. Et ici encore Thorarisson nous surprend. L'intrigue n'est en soi pas des plus prenantes. Un premier incendie suivi d'un second accompagné de deux cadavres, puis de l'assassinat d'un politicien, ce n'est pas ce que l'on pourrait appeler de l'innovation. Mais si l'auteur ne donne pas dans le sanglant, c'est qu'il n'a nul besoin de spectaculaire. Intrigue psychologique qui se dévoile petit à petit, le développement tout en finesse tient le lecteur en haleine jusqu'à la dernière page. Car le dénouement ne dépare en rien le reste du roman : tout en explicitant tout, le narrateur préserve la part d'obscur vaguement glauque qui nous a accompagné au fil du récit et qui laisse un arrière-goût doux amer tout à fait jouissif bien après la lecture.

Je préciserai pour conclure que cet ouvrage a été ma première incursion dans le polar islandais, et que ce tourisme littéraire m'a clairement emporté au-delà des frontières de tous les romans policiers que j'avais pu lire précédemment. Je recommande donc vivement cette expérience hors du commun qui a donné un coup de fouet vivifiant à mes petites cellules grises, et que je renouvellerai personnellement à la première occasion.