Ce recueil fascinant et de haute tenue (si j'ose dire !) contient les nouvelles suivantes :
Le Haut-Lieu : Anne Murat se réjouit que ce superbe appartement de 260 m² sis dans l'île Saint-Louis lui soit échu à la vente, et de le faire visiter au séduisant David Lance. Mais celui-ci lui cache quelque chose. L'appartement aussi... Une superbe nouvelle, moins angoissante que triste, finalement, sur la fidélité à l'enfance et sur l'impossibilité d'en sortir : être enfermé dans ses souvenirs n'est pas un vain mot. Cette idée fondatrice de la nouvelle est ici magnifiquement illustrée.
Le gouffre aux chimères : Quand un savant, un artiste, un créateur en général, ne se souvient plus de ses rêves, il les matérialise. Et l'en priver peut le rendre fou, mais qu'importe au bureau 101 ? Entre humour et horreur, entre Kafka et Orwell, une nouvelle inquiétante sur la dissimulation et la révélation des secrets les mieux enfouis, et sur la mégalomanie institutionnelle.
La chasse aux ombres molles : Il y a des questions qu'il ne faut pas poser au PDG d'une société. Ou à ses risques et périls. La question du malaise dans les entreprises est ici posée d'une façon originale, comme d'ailleurs celle de la finalité même du travail, même si j'ai trouvé la chute un peu rapide.
Superscience : Sur fond de lutte de pouvoir, au sein d'un Conseil d'Administration, entre les Anciens et les Modernes, une réflexion sur le rapport entre les oeuvres d'art et la "réalité". Pour moi la plus touffue, la plus difficile à suivre, je n'en ai pas moins été enchantée par cette nouvelle à la superbe idée de départ.
Origami : La réalité existe. L'homme existe, mais perçoit la réalité d'une certaine façon. Mais si cette perception influait sur la réalité ? Entre Dieu et Schrödinger, John Shankar peut même le prouver. Cette histoire, qui rejoint d'une certaine façon la première, est terrifiante, par les questions qu'elle soulève sur les possibilités d'accès à la réalité dont chaque humain bénéficie, sans ignorer une autre question de fond : vaut-il mieux savoir ou ne pas savoir ?
La régulation de Richard Mars : La "régulation" intervient quand une civilisation est dévorée par l'hubris. Richard Mars essaie de l'éviter aux rats qu'il a Elus en tant que peuple. Une autre nouvelle sur la position de la divinité, cette fois dans ses rapports avec sa création, qui souffre un peu de sa proximité avec la précédente.
Ce recueil bien équilibré, homogène, où les constructions architecturales liées à la subjectivité humaine abondent (Le Haut-Lieu, Superscience, Origami), nous fait aussi réfléchir sur l'importance des oeuvres d'art, sur la façon dont elles nous produisent autant que nous les produisons (Le Haut-Lieu, Le gouffre aux chimères, Superscience). Les thèmes du secret (il faudrait les citer toutes !), de l'incommunicabilité (Le gouffre aux chimères, La chasse aux ombres molles, Origami, La régulation de Richard Mars), et bien sûr de l'enfermement (Le Haut-Lieu, La chasse aux ombres molles, Origami) dominent.
L'écriture est très belle, le français parfait, la culture de l'auteur évidente, et en somme il s'agit d'un incontournable non seulement pour tout amateur de nouvelles, mais pour qui veut avoir une idée de la qualité que peut viser la science-fiction française. La préface de Xavier Mauméjean, à la fois savante et passionnante, se lira avec encore plus de profit en postface, pour qui préfère aborder les textes avec un oeil vierge.