Les Chroniques de l'Imaginaire

Sweeney Todd - Rymer, James Malcolm

L'histoire du barbier Sweeney Todd a fait l'objet de nombreuses adaptations, de la pièce de théâtre au film de Tim Burton, en passant par la comédie musicale de Stephen Sondheim. Mais le texte original, qui a vu la naissance du personnage, reste largement méconnu.

Les Editions Callidor ont choisi de nous proposer pour leur première publication la véritable histoire de Sweeney Todd, qui n'avait jamais été traduite auparavant, telle qu'elle a paru en roman en 1850. Il s'agissait à l'origine d'une publication sous forme de feuilletons, parus entre novembre 1846 et mars 1857. La paternité des aventures du barbier était inconnue à l'époque, et si le nom de Thomas Peckett Prest ressortait souvent, il a été établi bien plus tard que l'auteur était en réalité James Malcolm Rymer. La thèse d'une collaboration entre les deux hommes n'est cependant pas à écarter.

Voici l'histoire : Sweeney Todd tient sa boutique sur Fleet Street. Il y exerce la profession de barbier, avec son jeune apprenti, Tobias. Les clients entrent, sortent... mais pas tous, il arrive de temps à autre qu'un client ne ressorte jamais de la boutique de Sweeney Todd. Personne ne s'en rend compte, sauf le pauvre Tobias qui n'ose en parler à quiconque, terrifié par les menaces de son maître. Un peu plus loin, les clients venus des quatre coins de Londres s'agglutinent devant la boutique de Mrs Lovett afin de se régaler de ses délicieuses tourtes, dont la recette est tenue secrète. Dans un autre quartier, la jeune Johanna se languit de son fiancé, Mark Ingestrie, parti deux ans plus tôt aux Indes afin de faire fortune. Un de ses compagnons annonce à la jeune fille qu'un marin, Thornhill, était descendu à terre afin de la rencontrer et lui donner des nouvelles de Mark. Mais Thornhill a mystérieusement disparu. Commence alors une enquête pour tenter de retrouver le marin, avec pour point de départ le pas de porte de Sweeney Todd, sur lequel le chien du disparu n'a de cesse de se lamenter.

Le roman est découpé en 39 chapitres annoncés par un titre explicitant l'action à suivre, ce qui calque certainement la parution en feuilleton. Le rythme est donc soutenu, puisqu'il fallait tenir le lecteur en haleine à chaque épisode. Sans qu'il soit question de descriptions macabres à chaque page - il s'agit tout de même d'un récit du 19è siècle - on baigne constamment dans le gothique, avec ce Londres brumeux, l'apparence repoussante de Sweeney Todd, et ses activités étranges. L'atmosphère est oppressante, lourde, voire glauque, car le lecteur pressent progressivement ce que ces meurtres cachent, sans qu'à aucun moment l'auteur ne donne d'indice explicite avant le dénouement. Malgré sa noirceur persistante, le récit est nettement plus manichéen que dans les adaptations de Stephen Sonhdeim ou de Tim Burton, où Sweeney Todd assouvissait sa vengeance après qu'on lui avait volé sa femme et leur fille. Ici les méchants assument leur rôle, et les gentils sont pleins de bons sentiments, à la manière typique du 19è (je pense particulièrement aux récits de Charles Dickens). Ceux qui s'attendent à lire l'histoire de Sweeney Todd telle qu'elle a été popularisée risquent donc d'être déçus. Pourtant il serait dommage de passer à côté de cette première version, car le récit de James Malcolm Rymer est très audacieux pour l'époque, un amalgame de gothique et d'intigue policière. Certes, il ne s'agit pas d'un polar palpitant, mais on est tout de même curieux de suivre les différents protagonistes dans leur enquête pour confondre le criminel.

Pour une première publication je dirais que le pari est réussi. La couverture est superbe, avec ces taches de sang qui ressortent sur l'esquisse en noir et blanc aussi bien à la vue qu'au toucher. Les pages sont agréables à parcourir : la police choisie est parfaite, tout comme la taille des caractères et des interlignes. Une préface courte mais exhaustive présente les raisons de ce choix de publication ainsi que la génèse de la légende Sweeney Todd. Quant à l'histoire elle-même, je l'ai lue avec un réel plaisir, sans la moindre anicroche, et ce malgré les quelques longueurs et histoires secondaires inhérentes au format feuilleton.

Pour toutes ces raisons, Sweeney Todd est un excellent roman, très bien écrit et tout aussi bien traduit. C'est un plaisir d'aller à la rencontre de l'histoire originelle, dont la trame change quelque peu de celle que nous connaissions, mais dans laquelle on retrouve cette part d'horreur délicieusement effrayante.