Dans cet ouvrage passionnant, l'historienne Mona Ozouf étudie le voyage de Louis XVI, arrêté à Varennes. Comme elle le rappelle elle-même, la littérature, le théâtre et le cinéma ont abondamment utilisé cet épisode, somme toute mineur en apparence, de la Révolution. Tout le monde, du coup, connaît l'histoire : Louis XVI et sa famille, enfermés aux Tuileries, décident de partir. Malheureusement, l'aventure, mal organisée, tourne court à Varennes, après que quelqu'un a reconnu le roi, et les fugitifs sont reconduits à Paris sous bonne garde.
L'auteure prend soin de détailler les origines et les raisons de ce départ furtif, les possibles intentions du roi en entreprenant ce voyage, la vision qu'en ont eue les révolutionnaires sur le moment même et dans les mois suivants, les conséquences sur les relations entre eux et le roi, et, surtout, entre ce dernier et le peuple, les "répétitions" , tout aussi piteuses d'ailleurs, qu'en ont vécues les rois suivants, et la trace qu'il a laissée dans l'imaginaire collectif français.
Son argumentation quant à l'importance disproportionnée de cet incident, appuyée sur une somme remarquable de textes, est convaincante, et explique que cet ouvrage ait précédemment paru dans la collection des Journées qui ont fait la France. En effet, elle rappelle que dans la période comprise entre le 14 juillet 1789 et le 20 juin 1791, date du fatal départ du roi, les députés s'affairaient à construire la Constitution d'un pays monarchique, et que les républicains, peu nombreux, ne se faisaient guère entendre. A ce moment-là, le roi était encore cher au coeur des français, qui, semble-t'il, ne concevaient pas vraiment l'avenir de leur pays sans lui. En revanche, de l'épisode de Varennes au procès puis à l'exécution du roi ne s'écouleront guère que dix-huit mois. Ce que la fuite du roi aura révélé, c'est le fossé inconciliable entre le roi - ce roi-là, certes, mais aussi, de façon plus générale, la Royauté - et l'avenir que s'imagine le peuple, parisien, certes, mais aussi français dans son ensemble.
Truffé de références (la bibliographie est impressionnante) et de notes, heureusement reléguées en fin de volume, ce livre dense ne s'en lit pas moins comme un roman, grâce au style vif de Mona Ozouf. Pour qui est intéressé par ce moment de l'histoire, on ne peut qu'en recommander la lecture.