Kentarô Ueno se décrit lui-même comme un mangaka humoristique et satirique, mais Sans même nous dire au revoir est une parenthèse dans son oeuvre, puisqu'il s'agit d'un manga autobiographique. Un évènement a surgi dans sa vie, qui l'a profondément meurtri, qu'il a eu besoin de coucher sur papier, avec des mots, des images : le décès de sa femme.
Après avoir fini de travailler dans son bureau, à l'étage de leur maison, Kentarô Ueno avait l'habitude de retrouver sa femme dans le salon. En descendant les escaliers il se rend compte que tout est en désordre, comme si elle s'était lancée dans une activité et arrêtée en cours de route, ce qui ne l'étonne pas plus que ça, Kihô étant dépressive depuis des années. Mais elle est étendue sur le sol, et les secours n'arriveront pas à la ranimer.
Dans ce manga, Kentarô Ueno aborde ce décès sans tabou, tant du point de vue des sentiments que des aspects pragmatiques. Nous assistons à la découverte du corps, à l'attente à l'hôpital, la reconstitution devant les policiers, l'organisation des obsèques... Nous savons quels objets ont été achetés pour les funérailles, le prix que tout cela a coûté. Et à côté de ces préoccupations prosaïques mais légitimes le mangaka se remémore avec une tendresse éloquente la vie avec sa femme. Leur rencontre, leurs promesses, leurs joies, mais aussi les difficultés dûes à la dépression. Nous apprenons ainsi à connaître Kihô. Les planches sont très belles, les traits doux, et les vignettes foisonnent de détails, des objets de la maison notamment, ce qui accentue la dimension authentique de l'histoire. Les visages de la famille formée par Kentarô, Kihô et leur fille sont reconnaissables, alors que les autres personnages ne sont que des silhouettes, comme si cette histoire n'appartenait qu'au foyer Ueno. Les émotions du mangaka sont très bien rendues dans les dessins grâce à des effets particuliers : il regarde le corps de sa femme comme si elle était noyée au fond de l'eau, leur baiser fusionnel fait penser à celui de Rodin etc.
Malgré le propos dur de ce manga, c'est avant tout une grande tendresse qui se dégage. Kentarô Ueno a ressenti le besoin d'exorciser sa peine, et on vit à ses côtés sa tristesse mais aussi l'amour que lui et Kihô se portait. Un très beau témoignage.