Yuan Mei était un fonctionnaire et écrivain chinois du 18è siècle, connu pour ses écrits licencieux, sa liberté de parole et son mode de vie hédoniste. Pour ces raisons mêmes, il suscitait aussi bien l'admiration de ses contemporains qu'une franche aversion. L'auteur a réuni dans un ouvrage intitulé Zibuyu, c'est-à-dire Le Maître ne parlait pas, un grand nombre de petites histoires relevant du surnaturel. Pourquoi ce titre ? Car comme cela est écrit dans les Entretiens de Confucius, "Le Maître ne parlait ni du fantastique, ni de la violence, ni du désordre, ni du surnaturel". Yuan Mei s'en est donc chargé.
Le recueil complet comporte près de 1200 pièces. Les traducteurs et spécialistes qui ont agencé cet ouvrage ont donc décidé de réduire leur nombre à 135, avec pour thème de recoupement le rêve. Chaque histoire est très courte, une page et demie en général, et systématiquement composée de la même façon. Une brève introduction présente le personnage principal, bien souvent le rêveur. Ensuite l'auteur raconte la teneur du rêve. Puis en conclusion, nous lisons les conséquences de ce rêve, plus ou moins heureuses selon les cas.
Les rêveurs sont le plus souvent des fonctionnaires ou étudiants que Yuan Mei a rencontrés au cours de sa vie. Il arrive également qu'ils soient de sa famille ou de ses amis. Lors de leurs rêves, ils sont amenés à communiquer avec le monde des morts. Les messages sont souvent délivrés par des dieux, des personnalités célèbres, ou des proches. Ce peut être un avertissement, un présage, une rencontre avec sa vie antérieure, ou encore un jugement de ses actions. Selon les histoires la dimension surnaturelle est plus ou moins dramatique. Nombre de rêveurs ont reçu un message de leur mort, puis prévenu leur entourage avant de décéder quelques jours plus tard. Au contraire, certains ont pu profiter de leurs voyages oniriques à des fins plus heureuses, comme dans l'histoire 49, où un étudiant a pu refaire sa composition après qu'un incendie avait brûlé les copies, en recopiant ce qu'il avait vu dans son rêve.
Certaines histoires sont effrayantes, macabres, uniques, mais dans l'ensemble il s'agit d'un recueil plutôt rébarbatif. Le thème du rêve ainsi que la forte implication des croyances font que ces histoires se ressemblent trop pour passionner le lecteur, à mon sens. Parfois il ne se passe rien, comme dans l'histoire 90 : un vieux moine dit en rêve à un futur ministre de la justice qu'un jour il disculpera un certain prévenu. C'est tout. J'ai eu beaucoup de mal à aller au bout des 135 pièces car on se lasse assez vite de retrouver chaque fois une histoire qui a un goût de déjà lu. Je pense qu'il s'agit plus d'un livre à consulter de temps à autre, une histoire à la fois, mais à ne pas laisser de côté, car c'est un ouvrage à part très éclairant sur la culture chinoise de l'époque, tant sur l'aspect littéraire qu'intellectuel.