L'histoire du pantin sans visage est née de l'imaginaire de Aalexh, un artiste multi-facettes puisqu'il est à la fois dessinateur et compositeur-interprète. Ses dessins et sa musique s'inscrivent dans un univers qu'il a crée, et qu'il recrée sous vos yeux lors de BD-concerts, grâce à des décors et projections d'animations tirées de sa bande-dessinée, Le Pantin sans visage.
Dans le monde où vit Le Vieux, il est interdit de dormir, car il est interdit de rêver. Le Marionnettiste, assisté de son Nécromancien, veille à ce que personne ne contrevienne à la règle. Mais le vieillard ne veut plus de cette vie, passée seul, à fabriquer des pantins pour tuer le temps. Il choisit de donner sa vie au dernier qu'il a créé, un pantin sans visage, puisque son créateur n'a jamais rencontré personne et ne sait pas à quoi ressemble un visage. Mais la désobéissance du Vieux est portée à la connaissance du Marionnettiste, qui envoie sa horde de Robots de bois afin que son crime soit puni. Le Pantin s'enfuit, flairant le danger, mais sans yeux sa course n'est pas aisée. Par chance, il rencontre la Pantine, qui l'aidera avant que leurs chemins ne se séparent, subissant tous deux la tyrannie de ce monde, l'une entre les mains du Bourreau, l'autre entre celles du Marionnettiste.
Le Pantin sans visage est une oeuvre à part dans l'univers de la bande-dessinée. Ce qui frappe au premier abord c'est son découpage en chapitres, comme un livre, avec un prologue et un épilogue. Un court texte présente le chapitre, pour que le lecteur puisse avoir une idée de ce qui va suivre. Car une autre originalité de cette BD est l'absence totale de phylactères. Le Marionnettiste est le seul à être doté d'une bouche, et donc le seul à pouvoir émettre des sons. Les émotions des personnages et les évènements ne sont donc perceptibles que par les dessins, d'une précision telle qu'on ne ressent à aucun moment la nécessité de paroles : les images parlent d'elles-mêmes. Et ces dessins sont absolument magnifiques, avec des couleurs puissantes, et des traits très proches du dessin animé. D'ailleurs on s'attend presque à les voir s'animer sous nos yeux. A de nombreuses reprises les vignettes s'enchaînent pour créer un effet de zoom, de mouvement, de changement d'expression, ce qui renforce l'impression d'assister à la scène. Les points de vue sont également exploités, nous mettant à la place du personnage : on peut ainsi voir la dernière vision du vieillard, floutée, avant qu'il ne s'endorme, ou encore le papillon sur la main du pantin, tel qu'il le regarde. C'est donc une oeuvre esthétiquement très réussie, qui interpelle et nous plonge totalement dans l'univers créé.
Quant à l'histoire elle-même, c'est un véritable enchantement. On ne peut que s'attacher à ce pauvre Pantin, qui à peine animé doit tout de suite se sauver comme il peut, sans savoir où il est, où il va. La Pantine le prend sous son aile, au sens propre comme au figuré, et lui permet d'avoir des yeux, en les lui dessinant. Mais cette douceur côtoie l'horreur, personnifiée dans le personnage du Bourreau, qui, dans le but de ressembler au Marionnettiste, s'est fendu une bouche à travers le visage. Il pratique cette mutilation sur des fées avec l'aide d'un Robot de bois, créature vide d'émotion, à ce qu'on croit du moins. Malgré tout, après avoir été involontairement séparés, les deux pantins braveront le danger pour se retrouver.
Si la poésie est ce qui se dégage le plus de cette histoire, on est loin de la poésie heureuse et naïve. La cruauté et le malheur sont bien présents. Mais curieusement ce n'est pas ce qu'on retient. Ce qui reste en fermant cet ouvrage, c'est la beauté des sentiments des pantins, teintée de mélancolie, et leur capacité à se dépasser pour se retrouver, à affronter un monde aseptisé et tyrannisé. C'est un ouvrage extrêmement émouvant, superbe, et captivant.