Un mécano fruste, Gully Foyle, est le seul survivant du Nomad. Depuis plus de cinq mois, il survit dans un placard, d'une bonbonne d'oxygène à l'autre. Et un jour arrive le Vorga, qui réagit à ses signaux, vient vers la carcasse du Nomad... et s'éloigne, laissant en plan pour mourir un Gully Foyle à bout de désespoir et de rage.
Assez enragé pour trouver le moyen de faire se déplacer le Nomad, pour survivre, pour retourner sur les Planètes Intérieures, avec pour obsession la vengeance contre le Vorga qui l'a abandonné.
Ce roman est flamboyant. Du prologue où l'on voit un Fugg en flamme se téléporter à côté d'un extincteur à cette scène dantesque dans St Pat-la-vieille où l'on voit Foyle en flamme se téléporter ailleurs. Fugg a donné son nom à une technique : on ne se téléporte pas, on "fuggue". Mais Foyle est un criminel, à quoi donnerait-on son nom ?!
Ce roman a eu une grande postérité, parfois de façon souterraine, à moins qu'il ne s'agisse de communauté de pensée ou d'inspiration, mais il est difficile de ne pas songer en le lisant aux belles brutes criminelles qui peuplent les romans de Delany ou Berthelot ; une tirade sur la nécessité de la foi en tant que telle (pg 355) évoque Frank Herbert (dans L'empereur-dieu de Dune)... Il paraît que Bester a reconnu sa propre dette envers Alexandre Dumas et son Comte de Monte-Cristo. J'avoue pour ma part ne pas l'avoir vu du tout. En revanche, le clin d'oeil à Swift m'a paru évident.
Ce roman est riche d'idées, dont toutes ne sont pas développées. Je pense par exemple à la façon dont l'auteur se moque des "scientifiques purs et durs" d'une part en les tournant en ridicule, et d'autre part en faisant de cette "pseudo-science" une religion. En revanche, les conséquences de la maîtrise de la téléportation sur la société humaine sont traitées de façon intéressante.
On peut regretter aussi que certains personnages soient caricaturaux (les Presteign, père et fille, en sont l'exemple le plus flagrant). Cela fait partie du charme du roman, mais ça pourrait être une faiblesse. Sauf à le voir (et pourquoi pas ?) comme une galerie de monstres : Foyle en est un au premier chef, Saul Dagenham un autre, Robin Wednesbury un autre encore, mais il y a aussi un "musée des monstres" et, bien sûr, un cirque. Par contraste, l'humanité devient plus flagrante, et explique la fin.
Enfin, un roman à qui ses rares rides vont bien, qui reste plus que lisible, de surcroît servi ici par la traduction éblouissante, inspirée, de ce maître qu'est Patrick Marcel.
Il faut noter à ce propos que la toute première version française, publiée dans la mythique collection Présence du Futur de Denoël, était traduite par Jacques Papy. C'est en 2007 que l'éditeur a souhaité donner à ce texte ancien une chance de trouver de nouveaux lecteurs, en faisant refaire cette traduction. C'est de cette version-là qu'il s'agit ici, chez un autre éditeur et au format de poche.