Mohamed est arrivé en France en 1998, à l'âge de vingt-cinq ans, poussé par sa mère qui ne voyait pas d'avenir pour lui en Côte d'Ivoire. Là-bas, la France reste un rêve. L'échec et les difficultés ne se disent pas, c'est en quelque sorte un sujet tabou, si bien que les Ivoiriens pensent que la France leur réserve un bon accueil et n'ont aucune idée des galères qui les y attendent. A l'ère d'Internet les choses commencent à changer, mais lorsque Mohamed est arrivé cela a été un choc pour lui de glisser peu à peu vers ce qu'il appelle la transparence.
Muni de son passeport et de son visa, il pensait pouvoir poursuivre ses études, intégrer une école, puis monter son entreprise. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. Il commence sa vie en France à Lille, chez un ami. Dans l'appartement de H.L.M les allées et venues sont louches, des trafics ont lieu. Mohamed se décide à tenter ailleurs au bout d'un an, chez un autre ami à Paris. Il commencera enfin à travailler, mais sans papiers il ne peut être déclaré. Sans papiers il ne peut pas avoir d'adresse, ne peut pas se soigner, ne peut pas se plaindre des abus de faiblesse des employeurs souvent mauvais payeurs. C'est un parcours très difficile pour ce jeune homme issu de la classe moyenne ivoirienne, qui ne voit pas le bout du tunnel. Et pour avoir une carte de séjour il faut déclarer une adresse, et c'est le serpent qui se mord la queue.
Ce qui frappe d'autant plus c'est le paradoxe du système. Les sans-papiers sont stigmatisés et renvoyés chez eux, alors que les autorités savent où sont les squats et relâchent les "hors-la-loi" dans la nature. Tout le problème vient que l'économie française a besoin d'eux mais personne ne veut le reconnaître. Alors on les laisse se débrouiller et se faire arnaquer par les patrons indélicats.
Pour autant, ce document n'est pas du tout un acte de révolte. Même si certains paragraphes sont teintés d'ironie, Mohamed cherche simplement à témoigner, à raconter sa vie telle qu'elle est depuis quinze ans, entre les coups de chance, et surtout de malchance, les nuits dans la rue, les centres de rétention... Il est aujourd'hui marié à une ivoirienne, ils ont eu deux enfants, avec des papiers français. Mais pour l'instant cela n'a rien changé à sa situation à l'égard de l'administration.
Ce document est vraiment le miroir inversé de ce que nous renvoient les média habituellement. Là nous ne sommes pas dans les chiffres, mais dans la vie d'un homme qui pourrait être semblable en tout point à la nôtre. Très instructif.