Les Chroniques de l'Imaginaire

Fight club

Le narrateur est un trentenaire qui travaille pour une compagnie d'assurance. Expert en accidents de voitures, il voyage beaucoup pour constater les dégâts et dire si oui ou non sa compagnie paiera les frais. Seulement, il souffre d'insomnie. Son médecin ne veut pas le médicaliser mais lui conseille d'aller à des thérapies de groupe pour relativiser ses propres problèmes. Et, miraculeusement, cela fonctionne : il dort comme un bébé. Même s'il ne souffre pas des troubles des groupes, il arrive parfaitement à s'intégrer et à simuler. Sa vie de mensonge lui convient parfaitement. Seulement, dans son groupe, va arriver un autre simulateur. Comment l'a-t-il reconnu ? C'est qu'il s'agit d'une femme. Et une femme qui vient à un groupe de personnes souffrant du cancer des testicules, c'est louche. Le narrateur a besoin de ces groupes ! Mais Marla Singer, apparemment, aussi. Du coup, ils vont se les partager, parce que le narrateur n'arrive pas à se lâcher complètement devant un autre simulateur.

C'est alors que, durant un voyage et dans l'avion, il va faire le connaissance de Tyler Durden. C'est un représentant en savon. Il semble à l'aise et représenter certainement tout ce que le narrateur n'est pas. Tyler lui laisse sa carte, au cas où. Quand il rentre chez lui, c'est pour s'apercevoir que son appartement a brûlé et que rien n'a pu être sauvé. Il pourrait appeler certainement du monde, non ? Mais il décide d'appeler Tyler Durden. Ils se retrouvent dans un bar, le narrateur lui explique son problème mais n'ose pas lui demander l'asile. Ce qui énerve Tyler, parce qu'il sait bien pourquoi le narrateur l'a appelé. Une fois la demande faite, c'est Tyler qui va faire une demande singulière : il demande à être frappé. N'importe où, n'importe comment, du moment que ce soit inventif et surprenant. Ce que le narrateur va finalement faire. Et voilà les deux hommes qui se mettent une danse sur le parking du bar, et qui rentrent finalement ensemble chez Tyler.

Et c'est le début de deux choses : une amitié profonde et le Fight Club. Un endroit où ceux qui le souhaitent vont pouvoir venir cracher leur rage, leur colère, leur haine grâce à leurs poings. Et où la première règle devra être appliquée sans aucune dérogation : ne jamais parler du Fight Club.

Seven, du même réalisateur David Fincher, avait déjà marqué les esprits par son ton résolument novateur au cinéma. Fight Club en rajouta une couche par son côté dérangeant dans ce qu'il montre de notre société et par sa violence directe, brute et tangible. Et Fincher devint un réalisateur qu'il fallait maintenant suivre pour de bon. Pourquoi Fight Club fit-il autant de bruit ? Déjà parce qu'il est servi par un duo d'acteurs qui sont au meilleur de leur forme. Edward Norton est un acteur caméléon qui incarne parfaitement ce cadre moyen englué dans une vie qu'il n'a pas choisi, comme 98% de la population. Il semble un peu mou, hagard, alors qu'on le connait vif et tendu dans d'autres films comme American history X. Et puis il y a Brad Pitt, star mondiale aujourd'hui, qui incarne une sorte de looser charismatique aux idées révolutionnaires qui oscillent entre anarchisme et despotisme. Peut-être pas aussi barré que dans L'armée des 12 singes, il est loin d'être sage. C'est vraiment le chef que l'on écoute, que l'on suit, à qui on obéit, parce qu'il arrive à vous convaincre de ses idées, mais les plus loufoques ou délirantes. Mais bon, deux grands acteurs ne font pas à eux seuls un bon film.

David Fincher a aussi su mettre un style nerveux et imaginatif dans sa manière de filmer les choses. Quand le narrateur expose son intérieur et que l'on voit les meubles Ikea avec leur descriptif qui apparaissent, c'est bon. Quand on voit Brad Pitt dans une maison délabrée en robe de chambre et chaussons pour femmes, c'est bon. Et puis les paroles. Comme je le disais, les tirades de Brad Pitt sont faites pour nous faire perdre le cours de notre pensée et nous amener à nous dire que, oui, il a raison. C'est la force d'un communicant. Après, on adhère plus ou moins, ou pas du tout, au propos, mais le fait est qu'on ne nous laisse pas forcément respirer dans le film. Même quand il n'y a pas d'action, et cela arrive très souvent, il y a cette voix off qui nous tient et ne nous lâche pas. On ne peut pas faire de pause dans notre esprit pour respirer. Et cela est voulu. Cela nous empêche d'essayer de comprendre ce qu'il se passe. Et d'ailleurs, quand l'explication arrive, on se la prend en pleine poire, comme tous les coups distribués pendant le film.

C'est pour moi un film subversif et visionnaire. Un film énorme que j'adore. Paradoxalement, et pour les raisons d'anaérobie expliquée, ce n'est pas un film que je pourrai regarder toutes les semaines. Il faut du temps pour l'absorber, le digérer, en extraire les bonnes parties pour les faire siennes. C'est un film exigeant, mais qui mérite amplement l'investissement qu'il demande. Enfin, sans doute qu'un réactionnaire convaincu n'aura pas le même avis que moi, mais tous les goûts sont dans la nature.