Les Chroniques de l'Imaginaire

Tancrède - Une uchronie - Bellagamba, Ugo

Tancrède de Hauteville, prince normand, a la plus haute idée de son état de chevalier, et de la Croisade en général : il va libérer le tombeau du Christ et les Lieux Saints des Infidèles, Dieu le veut ! Si les agissements de Bohémond de Tarente, son oncle et suzerain, le choquent parfois, il reconnaît en Godefroy de Bouillon un maître digne d'être suivi, le vrai chef, temporel et spirituel, de la Croisade.
Peu à peu, toutefois, il réalise non seulement que les adversaires des Croisés ne sont pas des Barbares, mais qu'ils sont infiniment plus variés que ne le dépeint l'imagerie occidentale naïve, et il se met à s'intéresser de plus en plus à leurs coutumes, leurs langues et leurs fois. Et c'est là le premier pas sur un chemin qui changera la face du monde.

La question fondatrice de la Science-Fiction "Et si... ?", sur laquelle repose aussi le sous-genre de l'uchronie, joue ici à plein. A cette nuance près que, au lieu d'imaginer que, par exemple, les Croisés n'ont jamais pu dépasser Constantinople, évitant de ce fait la confrontation des Croisades entre la Croix et le Croissant, ce qui serait un point de divergence évident, Bellagamba choisit un humain comme support de la divergence historique. Son choix de Tancrède de Hauteville est très habile : il fallait prendre un homme haut placé, un homme de grande naissance et de grand pouvoir, tout en évitant un seigneur dont tout le monde connaît le nom et (plus ou moins) les actions, comme Godefroy de Bouillon ou Raymond de Saint-Gilles. Les choix personnels d'un tel personnage ne peuvent que peser sur le monde. Une autre version du fameux battement d'aile du papillon, si on veut...

L'idée est excellente. On peut croire que l'exaltation même de la foi de Tancrède le porte à chercher Dieu sous toutes ses formes, et qu'il soit justement séduit par le dénuement de l'image divine porté par l'Islam. L'érudition de l'auteur est sans faille, et il connaît son sujet, à l'évidence, sur le bout des doigts. La bibliographie de fin d'ouvrage suffirait à en témoigner, s'il en était besoin. D'autre part, la postface qui donne les sources de l'oeuvre donne aussi un accès important et bienvenu à son auteur.

En somme, je n'ai que des compliments à faire, et pourtant, je ne suis pas enthousiasmée par ce roman, sans pouvoir dire exactement pourquoi, je suis restée en-dehors, et par voie de conséquence, un peu sur ma faim. Mais il n'empêche que c'est un excellent roman, qui mérite entièrement les prix qu'il a reçus : le Rosny aîné et le Prix européen des Pays de la Loire, tous deux en 2010.