Quand Alan Riding est arrivé à Paris en 1989 en tant que correspondant permanent pour le New York Times, il a été fasciné par le fait de se trouver sur le "lieu de naissance de l'intellectuel engagé". La ville où les artistes n'avaient pas peur de contrer le pouvoir politique. L'auteur se plait à s'interroger sur les relations entre l'art et le pouvoir, en France ou ailleurs. L'Occupation lui est apparue d'emblée comme un sujet d'étude emblématique.
Les recherches de l'auteur sont d'une minutie impressionnante. En France le système éducatif veut que nous survolions la période de l'Occupation pour nous intéresser davantage aux évènements sur le front. Ici l'ouvrage met en lumière une multitude de faits et de détails méconnus. Une grosse partie de l'ouvrage mêle habilement le cours d'histoire et l'analyse de la vie culturelle simultanément, afin de mieux appréhender le contexte.
Tous les aspects de la vie culturelle sont étudiés : la littérature, le théâtre, le cinéma, la musique, les galeries d'art. Certains artistes ont préféré quitter Paris pour rejoindre la zone libre, de nombreux autres ont choisi de rejoindre les Etats-Unis, notamment un grand nombre de juifs. D'autres n'en ont pas réchappé. Alan Riding s'attarde très souvent sur un personnage en particulier et raconte son cas, par exemple : Sacha Guitry, Jacques Schiffrin, André Gide... Il nous expose les comportements des uns et des autres face aux occupants, entre les collaborationnistes et les révoltés, et au milieu ceux qui attendent que ça passe.
Les Allemands ont aussi leur place dans cet ouvrage. On s'aperçoit que si les directives étaient discriminatoires et intransigeantes (aucun juif ne devait participer à la vie culturelle et aucun message antinazi ne devait transparaître), nombre d'allemands directement en prise avec la vie artistique étaient plus indulgents, admiratifs de la culture française. Mais eux n'ont pas apporté grand chose en France, à part la musique, qui adoucit les moeurs. Laisser les français s'amuser faisait partie de leur stratégie d'occupation, car ainsi ils pensaient moins à la guerre.
Et la fête continue est un ouvrage vraiment passionnant, très bien construit et très instructif. Le travail fourni par Alan Riding est colossal, et le texte fourmille de dates, de lieux, d'anecdotes pertinentes. Malgré la densité des informations ce document se lit avec plaisir et intérêt. Mais je préfère vous avertir que vous ne regarderez plus certains artistes de la même façon...